(Togo First) - L’agriculture togolaise, pilier économique du pays avec une contribution de plus de 40 % au PIB national, emploie près de 65 % de la population active. Occupant une superficie cultivable de 3,6 millions d’hectares, dont 41 % sont emblavés, le secteur incarne pour le pays d’Afrique de l’Ouest à la fois un potentiel immense et des défis structurels majeurs. Depuis le début du millénaire jusqu'aux années 2020, des mutations et des avancées redessinent le paysage agricole, avec en ligne de mire la modernisation et la mécanisation de ce secteur, pour obtenir un mode de production adapté aux enjeux socio-économiques et climatiques de l’époque.
La production agricole est bigarrée et orientée par des impératifs alimentaires locaux, avec plusieurs cultures vivrières, d’exportation, et des cultures de rente comme le coton, le café-cacao, ou plus récemment le soja.
Les cultures vivrières représentent 70 % de l’ensemble de la production agricole togolaise. Plutôt destinées à la consommation locale et nationale, elles sont moins disponibles pour une commercialisation extérieure. Ces produits assurent cependant des revenus non négligeables et « sûrs » aux paysans, du fait de la demande permanente. Ce sont principalement les céréales et les tubercules. Les céréales, en moyenne, représentent 56 % de l’approvisionnement calorique total des produits végétaux. Sur la période 2014-2017, le maïs seul représentait 51 % des céréales, suivi du riz (20 %), du sorgho (17 %) et du blé (9 %). Quant aux tubercules, les plus consommés sont le manioc (61,8 % des tubercules) et l’igname (37,8 %).
Le maïs, épine dorsale de la consommation locale, a vu sa production augmenter de 14 % entre 2021 et 2023, atteignant 1,06 million de tonnes. Cultivé sur plus de 700 000 hectares, il contribue également aux revenus agricoles avec une moyenne nette de 223 000 FCFA par hectare. Il reste la céréale la plus cultivée et un pilier central de la sécurité alimentaire au Togo.
Les tubercules, en particulier le manioc et l’igname, sont également des produits phares. Le manioc, cultivé principalement dans le sud du pays, a pour sa part vu sa production passer de 1,2 million de tonnes en 2021 à 1,31 million de tonnes en 2023. Quant à l’igname, généralement cultivée à Kpalimé et Bassar, sa production a progressé de 12 %, atteignant 1,05 million de tonnes en 2023. Ces tubercules sont transformés en produits locaux tels que le "foufou" et le "gari", très consommés sur l’ensemble du territoire.
Du côté des légumineuses, les haricots et le niébé ont connu une progression modeste de 10 %, atteignant 234 500 tonnes en 2023. Ces cultures génèrent des protéines appréciables pour les ménages et constituent une source importante de revenus pour les agriculteurs.
Le riz paddy est principalement cultivé dans la région des Savanes. Malgré une concurrence accrue des importations, cette céréale a enregistré une croissance de 12,5 % pour s’établir à 186 300 tonnes en 2023. Sa production est soutenue notamment par des projets tels que le développement de la plaine de Djagblé, qui vise à améliorer les rendements locaux et réduire la dépendance aux importations.
Deuxième céréale en termes de volumes produits, le sorgho est très répandu dans la région de la Kara et des Savanes. Il est cultivé essentiellement pour la fabrication de la boisson (le "tchoukoutchou"). Sa production s’accompagne de celle du mil, également cultivé dans le nord du pays. Cette dernière est cependant la céréale la moins répandue en termes de quantités annuelles. Leur production globale était de 303 000 tonnes en 2018.
Diverses Cultures
Outre ces principales cultures vivrières, on compte une variété d’autres cultures répondant aux besoins alimentaires et économiques des communautés rurales, regroupées sous la catégorie "autres". Celles-ci représentent 2,58 millions de tonnes en 2023.
Produits de Rente : Entre Recul et Relance
Le Coton
Le coton, principal produit d’exportation, illustre les défis actuels de la culture de rente au Togo. Après un sommet en 2019 avec 57 415 tonnes, la production a chuté à 22 605 tonnes en 2022. Cette baisse résulte de la concurrence d’autres cultures (notamment le soja), des aléas climatiques et de la réduction des superficies cultivées. Cependant, le secteur reste stratégique, avec des efforts en cours pour redynamiser la filière et améliorer les rendements, notamment après l’arrivée du groupe singapourien Olam. La campagne agricole 2023-2024 a connu une production de 67 000 tonnes (cultivées sur près de 80 000 hectares, avec un rendement moyen estimé à 840 kg par hectare), mais les prévisions étaient en légère baisse pour 2024-2025, à 66 000 tonnes.
Le Café
Cultivé principalement dans la région des Plateaux, le café a montré une résilience encourageante au fil des années. Après une chute notable en 2021, où la production a atteint un creux de 2 878 tonnes, celle-ci a rebondi à 5 145 tonnes en 2022. Ce résultat est attribué à des programmes de réhabilitation des plantations et à un encadrement renforcé des producteurs.
Le Cacao
Le cacao, autre produit phare, a connu une hausse notable de ses exportations, passées de 6 763 tonnes en 2021 à 8 357 tonnes en 2022. Les recettes générées par ces exportations ont augmenté de 32,7 % sur la même période, atteignant 10,7 milliards FCFA. La région des Plateaux, souvent surnommée le "triangle du café et du cacao", reste le centre de gravité de cette culture, avec des investissements prévus pour améliorer les rendements et les capacités de transformation locale.
Modernisation et Innovation
Depuis les années 2000, le gouvernement togolais a déployé plusieurs programmes successifs, de plus ou moins grande envergure, pour dynamiser le secteur agricole. Parmi eux, le Projet d’Appui au Secteur Agricole (PASA), lancé en 2011, renforce l’élevage et la couverture vaccinale des ruminants. Le Projet de Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO), initié en 2008, et le Projet d’Appui au Développement de l’Agriculture au Togo (PADAT), démarré en 2011, soutiennent la résilience des systèmes de production en introduisant des technologies modernes et des pratiques agricoles durables.
L’Agropole de la Kara
Le projet d’Agropole de Kara, en gestation depuis 2018, incarne une initiative ambitieuse pour transformer le paysage agricole du Togo.
Soutenu par plusieurs institutions, dont plus récemment un financement combiné de 46,4 milliards FCFA de la Banque Africaine de Développement (BAD) et de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) en 2024, ce projet avait déjà bénéficié d’appuis précédents de la BAD lors de ses phases initiales.
Malgré un déploiement progressif, l’agropole ambitionne de transformer la production de maïs, de riz et de soja. Cette transformation vise à moderniser et à produire à plus grande échelle, dans des exploitations traditionnellement familiales, semi-artisanales et de petite taille. Le projet s’inscrit dans une stratégie globale visant à réduire les importations alimentaires et à améliorer la compétitivité agricole.
Parallèlement, le mécanisme incitatif de financement agricole (MIFA), initié en 2018, a mobilisé 3,8 milliards FCFA de crédits en 2019. Cet outil vise à porter à 5 % la part des crédits bancaires alloués à l’agriculture d’ici 2027, tout en réduisant les taux d’intérêt à 10,5 %.
La PIA : entre promesses et défis
Inaugurée en juin 2021, la Plateforme Industrielle d’Adétikopé (PIA) est une zone industrielle située à environ 27 km au nord de Lomé, la capitale togolaise. Étendue sur 400 hectares, la structure a notamment pour objectif de stimuler l’industrialisation et le développement économique du Togo.
L’infrastructure s’est rapidement positionnée comme un atout en matière de transformation locale des matières premières. C’est en particulier le cas pour le soja. À ce jour, deux usines, Togo Soja et Togo Organic, spécialisées dans la transformation de soja conventionnel et biologique, opèrent sur le site de la PIA.
Ceci étant, des défis subsistent, comme la disponibilité et le coût élevé des matières premières, des facteurs qui compliquent la rentabilité des opérations.
Les marges de progression restent importantes. En dépit d’une capacité annuelle de transformation de 180 000 tonnes, Togo Soja n’a traité que 71 000 tonnes de tourteaux de soja en 2022-2023. Cela constitue une opportunité significative pour augmenter la production locale de soja.
L’agriculture biologique prend également de l’ampleur, notamment dans la filière soja. Avec une production de 78 000 tonnes prévue pour 2024, le soja bio togolais, largement destiné à l’exportation, se positionne comme une chaîne de valeur attractive pour les producteurs, malgré quelques vents contraires ces deux dernières années.
Soutien Public et Perspectives d’Avenir
En complément, l’introduction du porte-monnaie électronique AgriPME a permis à 270 000 agriculteurs d’accéder à des subventions pour l’achat d’intrants. Cette initiative, associée à des projets comme le Programme de Mécanisation Agricole lancé en 2024, témoigne d’une volonté de modernisation.
Depuis 2023, l’État s’est engagé dans un dialogue approfondi avec les acteurs agricoles à travers des fora régionaux des producteurs agricoles du Togo (FoPAT).
Ces événements, qui mettent l’accent sur les enjeux et défis de la modernisation, sont l’occasion d’écouter les préoccupations des producteurs agricoles et de maintenir un dialogue constant entre les différents acteurs.
Parmi les derniers programmes actifs, le Programme de Résilience du Système Alimentaire en Afrique de l’Ouest (FSRP-Togo), financé par la Banque mondiale, a soutenu près de 30 000 producteurs vulnérables de maïs, riz, soja et niébé en 2024, en leur fournissant des intrants agricoles. Cette initiative multidimensionnelle et sous-régionale renforce la sécurité alimentaire.
Dans les mois à venir, un investissement de 300 millions $ de la Banque mondiale est attendu pour soutenir les filières soja et maïs.
Tenir les promesses de la transformation
Malgré des défis persistants, tels que le faible accès au crédit bancaire et la vulnérabilité face aux aléas climatiques, l’agriculture togolaise se transforme progressivement. Les investissements publics et privés, combinés à des politiques innovantes, offrent des perspectives prometteuses pour un secteur qui reste au cœur du développement économique et social du pays.
Ayi Renaud Dossavi