(Togo First) - L’histoire de Prudencio Eli Avumadji est intimement liée à la terre et aux animaux. Issu d’une famille d’éleveurs et d’agriculteurs, il a dès son tout jeune âge été en contact avec les poules, canards, moutons et autres animaux élevés dans les fermes. Mais au lieu de poursuivre l’exploitation familiale avec l’élevage et la production de ces animaux qu’il avait appris à connaître par cœur, c’est vers les lapins que son cœur s’est tourné. Il y avait de quoi. Le ravissant mammifère à la vue panoramique, connu pour sa chair blanche et riche en vitamines B, est devenu sa passion. Bien lui en a pris. Le jeune électrotechnicien de formation est devenu le visage de la cuniculture togolaise, reconnu par les plus hautes personnalités de l’Etat et récompensé pour ses capacités à rendre la viande de « l’animal aux longues oreilles » appréciée et accessible à tous. Zoom.
Togo First: Le 26 Avril 2018, le Président de la République vous a fait Officier National de l’Ordre du Mérite. En récompense à votre engagement dans la cuniculture. Dites-nous, comment vous est venue l’idée d’élever des lapins ?
Prudencio AVUMADJI : Il faut dire que j’ai commencé très tôt. Lorsque j’étais au collège, j’avais entamé une production familiale. Elle se résumait à un mâle et deux femelles au début. Par la suite, cela a été amené à 5 femelles. J’ai eu cette bonne fortune d’être né dans une famille purement agricole. Mon grand-père tenait la ferme CREATO qui existe toujours et qui est sans doute la ferme qui produit le plus de poules pondeuses au Togo actuellement. Donc, j’ai acquis très tôt cette passion pour les animaux. Mais cette passion n’était pas dirigée vers les poulets, je l’ai ramenée vers les lapins. Tout petit, j’en avais à la maison. Je les nourrissais juste pour une consommation familiale. Lorsque des amis en demandaient, on leur en offrait.
C’est par la suite, après les études et la formation, académique comme professionnelle, et pour ne pas chômer que je me suis dit : « Pourquoi ne pas transformer ça en activité principale ? ». Je suis allé à Cotonou où c’est une activité à part entière et génératrice de revenus, et je me suis inspiré d’eux en disant que je pouvais monter un truc pareil. Surtout qu’au pays, il n’y avait aucune structure spécialisée dans l’élevage exclusif des lapins. C’est ce qui m’a poussé vers l’industrialisation de la cuniculture au Togo.
Pour tout dire, ce n’est qu’en Juin 2015 que j’ai commencé la production industrielle proprement dite. Nous avons donc été obligés de quitter la capitale pour aller nous installer à la ferme qui se situe à Wogba, (village situé à 5km de Vogan, 53km au nord-est de Lomé).
La production industrielle intervient quand vous dépassez généralement la trentaine de reproductrices. Aujourd’hui, nous en sommes à 70. Nous avons un peu régressé parce qu’à un moment, nous en étions à 120. Nous avons un effectif total actuel de près de 300 lapins, chiffre aussi en baisse parce qu’il y a eu des ventes récemment.
TF: Avez-vous bénéficié d’un soutien institutionnel que ce soit au niveau du financement ou de l’installation officielle de la ferme cunicole ?
P.A: J’ai commencé avec mes propres fonds. C’est lors d’un passage à Atakpamé que j’ai découvert le PRADEB grâce à ses prospectus. Donc j’ai pris le formulaire qui accompagnait les prospectus et je l’ai lu une fois rentré à Lomé. J’ai constitué un dossier que je suis allé déposer. J’ai donc d’abord bénéficié de l’appui technique du PRADEB puisqu’on a eu à suivre des formations avant d’avoir un soutien financier.
Mon plan d’affaires était de 2 400 000 mais au final j’ai pris 1 000 000 parce que j’avais déjà beaucoup avancé au niveau de l’installation de la ferme. Puis j’ai connu des hauts et des bas qui ont nécessité d’autres soutiens financiers.
TF: Parlons justement de ces hauts et bas que vous avez rencontrées ...
P.A: En 2006, il y a eu une épidémie qui avait balayé tout le sud-ouest africain. Elle a commencé au Nigéria et a ravagé la côte. En ce moment, on était à près de 500 lapins et nous nous sommes retrouvés avec 3 têtes qui ont survécus, et ce en l’espace de 3 semaines. Nous avons perdu plus de 400 têtes.
Mais nous n’avons pas perdu espoir. Et c’est ici que j’en profite pour tirer un chapeau à Madame la Ministre du développement à la base, Madame Victoire Tomegah-Dogbé qui n’a pas cessé de suivre particulièrement les éléments reconnus par le PRADEB et le FAIEJ, et qui malgré les difficultés qu’ils rencontrent, veulent vraiment voir leur projet aboutir. Elle m’a soutenu et pas qu’un peu. Je tiens également à remercier le coordonnateur national du PRADEB, Monsieur Aristide Agbossoumonde, qui lui aussi, n’a pas baissé les bras quand on avait des difficultés.
J’ai eu à bénéficier d’un mentorat qui, jusqu’au jour d’aujourd’hui, continue de me soutenir et je salue au passage Mr Georges Dogbévi de Consult Synergie qui est mon mentor qui nous a toujours soutenus, malgré les difficultés. Et des trois lapins qui nous restaient, nous sommes revenus aujourd’hui à 300.
Sans les efforts de ces personnes-là, on aurait peut-être raccroché ou on serait à 10 aujourd’hui.
Parlant des hauts, en 2016, nous avons été salués comme Entreprise à encourager et nous avons été primés à la Présidence. L’année suivante, nous avons été deuxièmes dans la catégorie micro-entreprise au Togo. Ajouté à cela, une reconnaissance de la part de quelques personnalités qui se sont intéressés à nous.
TF: Comment se présente le marché ?
P.A: Je ne saurais le dire parce qu’au Togo actuellement, il y a cette méconnaissance de la viande de lapins. La population ne semble pas vraiment s’y intéresser. D’où cet effort que nous faisons afin de permettre à la population de connaitre cette viande et ses vertus. Aujourd’hui, nous sommes toujours dans la phase de promotion de notre produit. C’est pour cette raison que nous avons lancé en mars dernier un concept, « le Lapin Express ». C’est un service qui se charge de vous livrer de la viande de lapin, où que vous soyez à Lomé. Nous avons des numéros verts qu’il suffit juste de contacter et vous êtes livrés en moins de 24h. Je précise : partout à Lomé.
Cela fait donc que nous n’avons pas de chiffre d’affaires mensuels défini. La hausse de nos ventes se remarque plus en vacances où les expatriés passent des commandes. Tout le contraire, le long de l’année.
TF: Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’élevage des lapins, outre les épidémies par exemple ?
P.A: Je dirais que je n’en ai pas particulièrement. Pourquoi ? C’est simple. Parce que nous ne faisons pas de l’à peu près. En cuniculture, il y a des règles bien définies qui nous permettent de suivre aisément la production.
Vous avez par exemple la fiche de suivi pour chaque reproductrice. Du coup, vous savez chaque année combien de lapereaux telle femelle a mis bas, combien telle autre a fait ou combien de fois elle a été saillie, combien de lapereaux elle a perdus au cours de l’année, quel est le rendement de ces lapereaux à telle période de leur croissance. Tout est bien régi.
Reproducteurs et reproductrices sont tous marqués. Et plus loin, étant donné que nous alimentons d’autres cheptels et d’autres fermes en devenir, nous faisons une sélection qui nous permet de regrouper quelque part les femelles qui sont bien portantes et fécondes. Donc lorsqu’on nous demande de fournir tel nombre de lapines fertiles, tout est fait à l’instant.
En région tropicale, les bouquins nous disent que la moyenne est de 6 par portée. Et si on considère que la femelle peut mettre bas jusqu’à 6 fois dans l’année, tu as comme 36 lapereaux par an. C’est la moyenne. Moi j’ai connu des lapines qui faisaient jusqu’à 12 par portée. Donc vous imaginez aisément. Mais ce sont des cas rares. Et tout est consigné.
TF: Quelles sont vos perspectives pour les 5 ou 10 prochaines années?
P.A: Nous sommes toujours dans la phase de promotion du produit donc nous comptons beaucoup nous y atteler. C’est pourquoi nous saluons votre site qui à travers cette interview, nous fait encore plus connaître.
Le jeune entrepreneur a surtout besoin de se faire connaître. Ceux qui entreprennent oublient souvent de dégager des fonds pour la publicité. Or sans la pub, nous sommes invisibles. Nous allons donc travailler sur cet aspect. Nous prévoyons de nouer des partenariats avec nos amis qui ont été financés eux aussi par les institutions et qui sont dans la restauration. L’idée est de s’associer à eux pour écouler nos produits et leur permettre de booster leurs activités en leur proposant la viande de lapin. C’est sur ces aspects que nous voulons travailler à moyen terme.
Plus tard, nous pensons mettre sur pied un abattoir de lapins. Il n’y en a pas au pays. Nous avons entrepris déjà quelques démarches auprès du ministère de l’agriculture pour avoir des informations qui y sont relatives. Nous attendons voir ce que la suite va donner.
TF: Un conseil à un jeune qui hésite à se lancer dans l’entreprenariat ?
P.A: Y a toujours quelque chose à faire autour de soi. Les métiers supposés les plus vils ou encore sans intérêt sont souvent ceux qui rapportent le plus. Je trouve qu’il nous manque un côté patriotique qui ne nous permet pas de penser à faire des activités qui aideront le pays. J’ai eu à effectuer un voyage en Chine dans le cadre d’un programme initié par le ministère du Développement à la base et au cours de ce voyage, tous les Chinois que j’ai eu à croiser et avec qui j’ai échangé ont cette fibre patriotique qui les pousse à toujours créer et innover d’abord pour leur pays.
Donc innovons et pensons à créer quelque chose pour aider d’abord le pays et cela nous aidera en retour.
Propos recueillis par Octave A. Bruce
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