(Togo First) - Après ses politiques accommodantes pour tonifier l’économie sous-régionale alors en proie à la crise sanitaire, la BCEAO resserre petit à petit le vis pour lutter contre l’inflation. Un retour à la normale qui met la pression au secteur bancaire de l’Uemoa.
Depuis mi-février, le marché interbancaire de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) est secoué par une tension sur la trésorerie causée par la reprise des adjudications aux guichets de refinancement hebdomadaire et mensuel à taux variables. Une mesure que la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) avait prise dans le cadre de la « normalisation de sa politique monétaire ». Le retour des taux variables était censé réduire la masse monétaire afin de permettre à l’institution faîtière de lutter contre l'inflation élevée que connaît la communauté monétaire.
Selon un post de Kadiatou Barry, gestionnaire ALM (Asset Liability Management) chez Oragroup, alerte abondamment commentée par les acteurs bancaires sur LinkedIn, le passage aux injections de liquidité à taux variable a permis de « détecter des défaillances dans la gestion de la liquidité des banques et de tester leurs solidités ».
Certaines banques n’ont pas réussi à s’adapter à la nouvelle situation. Selon la financière, plusieurs banques avaient adossé une grande partie de leurs emplois sur le refinancement aux guichets BCEAO, plutôt que de renforcer leurs efforts dans la collecte des dépôts. Certains ne disposaient même pas d’outils de gestion du portefeuille titres pour améliorer leur performance. En plus, d’autres n’ont pas pu anticiper les événements, faute d’outils de gestion de liquidités et de taux.
Et pour cause : « les banques, dont la principale mission est de collecter des dépôts et d'octroyer des crédits, ont ces dernières années eu tendance à se concentrer davantage sur la recherche de marges entre le coût du refinancement de la BCEAO et les revenus des titres d'État, au détriment de leur mission fondamentale », fait observer Cheick Oumar Samake, responsable direction financière et comptable chez Banque internationale pour le Mali, filiale de AttijariWafa.
« On a donc assisté à une transformation du bilan des banques avec une forte évolution des ressources interbancaires en lieu et place des dépôts clientèle et un fort accroissement de l'encours des titres de placement au détriment du crédit à la clientèle », poursuit-il.
« Avant, lorsque les taux étaient fixes, les acteurs du marché connaissaient les taux d'avance et élaboraient leur stratégie en conséquence. Mais avec la reprise des injections à taux variables, la concurrence s'est accrue entre les différents acteurs. Les stratégies basées sur le refinancement au guichet sont donc devenues incertaines, car si auparavant la BCEAO prenait en charge tout le monde, les taux sont désormais soumis à la concurrence », fait constater un autre financier, spécialiste du marché, contacté par l’Agence Ecofin.
Selon les données consultées par l'Agence Ecofin, le taux moyen pondéré sur les adjudications a augmenté pour atteindre 4,4531% lors de la dernière opération sur le marché, le 6 mars dernier. Cela représente une hausse par rapport aux taux fixes précédents qui étaient de 2,75%. Certaines banques ont même proposé des taux encore plus élevés, allant jusqu'à 4,75%, afin d'acquérir de la liquidité sur une période d'une semaine. Il s'agit du taux maximal appliqué sur le guichet de prêt marginal, qui est le taux d'intérêt que la Banque centrale facture aux banques commerciales pour des prêts de liquidités d'urgence à court terme.
Pour Cheick Oumar Samake, « cette inflexion de la politique monétaire de la BCEAO aura d'énormes conséquences sur la vitalité des banques de l'Union dans la mesure où la hausse du coût du refinancement ne pourra être facturée aux créanciers dans le court terme ».
« La plupart des banques seraient concernées par cette situation, à l’exception des banques appartenant aux grands groupes financiers », estime-t-on, laissant planer les craintes d’une baisse subséquente de revenus pour certaines banques.
Cette situation intervient alors que la Banque centrale a décidé de rehausser à nouveau ses principaux taux directeurs de 25 points de base, pour la quatrième fois en 9 mois. La mesure qui entre en vigueur le 16 mars prochain pourrait avoir des conséquences significatives sur les banques et les acteurs économiques plus en général, car elle implique une nouvelle hausse du coût du crédit dans un environnement où l’accès au financement est déjà difficile.
Déjà en constante hausse depuis l’année dernière, les taux d'intérêts sur les obligations souveraines émises sur le marché des titres publics par adjudication organisé par Umoa-Titres devraient également augmenter. Cet état de choses ne sera pas sans impact sur les investissements alors que les États de l’Union, presque privés des marchés internationaux, se tournent de plus en plus vers les places régionales pour mobiliser des ressources afin de financer leur budget d’investissement.
Et même si la Banque centrale dans son dernier communiqué sur le relèvement des taux directeurs indique que la liquidité reste adéquate dans le secteur bancaire de l’Union et devrait permettre aux banques de poursuivre le financement des économies, l’alerte reste en vigueur.
Fiacre E. Kakpo