Réformes, défis et ambitions, les nouvelles initiatives de la Banque mondiale et de l’IFC au Togo (Interview croisée)

Economie
samedi, 27 juillet 2024 06:10
Réformes, défis et ambitions, les nouvelles initiatives de la Banque mondiale et de l’IFC au Togo (Interview croisée)

(Togo First) - Dans le cadre du lancement du nouveau Cadre de Partenariat Pays (CPF) de la Banque mondiale pour le Togo, couvrant la période 2025-2029, Togo First s'est entretenu avec Fily Sissoko et Christopher Balliet Bleziri, respectivement Représentant Résident de la Banque mondiale, et Représentant-Pays de la Société financière internationale (SFI ou IFC), au Togo. Les deux responsables reviennent sur les avancées réalisées, les défis rencontrés et les nouvelles perspectives économiques pour le pays d’Afrique de l’Ouest, offrant ainsi un aperçu détaillé des stratégies et des engagements de l'institution de Bretton Woods envers le Togo.

TF : Nous venons d'avoir l'annonce du nouveau CPF avec le Togo, avec des ambitions bien supérieures à celles des années précédentes. Pouvez-vous nous donner un aperçu des réalisations et des enseignements tirés des projets précédents, ainsi que des domaines nécessitant une amélioration ?

FS : Merci pour cette opportunité. J’aimerais tout d'abord revenir sur le Cadre de partenariat pays (CPF) approuvé par le Conseil d'administration de la Banque mondiale le 23 mai dernier. C'est vraiment un nouveau chapitre qui s'ouvre dans les relations entre le groupe de la Banque mondiale (la Banque mondiale, la SFI, et la MIGA), s’agissant des ambitions que nous avons, et des objectifs que le gouvernement s'est fixés et que nous sommes prêts à soutenir.

Une des raisons pour lesquelles nous pouvons aujourd'hui avoir ce niveau d'ambition, c'est que des réformes importantes ont été accomplies. Quand nous avons commencé les CPF avec le Togo, les financements étaient de 172 millions $, aujourd'hui nous sommes à plus d'un milliard $. Cela est lié au succès des réformes dans certains secteurs spécifiques. Par exemple, l'amélioration du climat des affaires, le Togo s'étant illustré ces dernières années comme l'un des plus grands réformateurs de la région, comme l’a montré le rapport Doing Business, maintenant connu sous le nom de Be Ready.

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Nous avons également un mécanisme d'évaluation, la CPIA, qui mesure la qualité des politiques économiques et institutionnelles. Celui-ci montre clairement les progrès du Togo, c'est très impressionnant. Pour l'exercice 2023 qui vient juste de sortir, le Togo est encore parmi les meilleurs de la sous-région. L'année dernière, nous avons atteint des niveaux de décaissement de près de 40% au Togo, ce qui est très important par rapport à la moyenne régionale. Ceci alors que nous étions dans un contexte international complexe, marqué par des crises multiples comme la COVID, les chocs inflationnistes, et la guerre en Ukraine. Malgré tout cela, des efforts ont été faits dans le capital humain. Le Togo a largement progressé, notamment dans l'éducation, la santé, et la protection sociale (le pays a innové avec le Novissi).

Tous ces facteurs ont permis au groupe de la Banque mondiale de conclure que le Togo est à la croisée des chemins, et qu'il faut le soutenir plus fortement pour permettre un impact significatif et transformer son économie.

TF : On a également présenté de nouveaux programmes et initiatives spécifiques de la Banque…

FS : Nous avons en effet validé trois nouveaux programmes, ce qui est assez exceptionnel. C’est une première pour le Conseil d'administration de la Banque d’endosser un CPF et d’approuver trois nouveaux projets en même temps.

Nous avons un projet pour accélérer l'accès à l'énergie (le projet IDEA), un projet de modernisation de l'administration publique, et un projet pour soutenir les réfugiés et les communautés hôtes.

Ces projets abordent des problématiques cruciales. L’énergie, c’est essentiel. Face à la crise énergétique que traversent de nombreux pays de la sous-région, y compris le Togo, ces 200 millions de dollars viendront à point nommé pour augmenter l'accès à l'énergie à travers le financement de lignes de transport et de distribution, ainsi que le renforcement des capacités institutionnelles dans le secteur de l'énergie, notamment en matière de gouvernance de la CEET.

Le projet de modernisation de l'administration publique sera fondamental pour améliorer la productivité du secteur public et fournir des services de qualité aux populations. Enfin, nous sommes très heureux et fiers d’avoir pu faire passer le projet de cohésion sociale. Nous avons bouclé son dossier en un temps record. En décembre, nous discutions encore de ce projet de financement additionnel pour soutenir les communautés hôtes et les réfugiés. Nous pouvons vraiment féliciter le gouvernement, notamment le secrétariat général de la présidence, qui a pris à bras-le-corps ce projet et  permis de mobiliser des financements de 23 millions de dollars.

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“L'essentiel pour nous, c'est l'impact. Nous parlons de millions de dollars, mais ce qui compte vraiment, c'est l'amélioration de la vie des Togolais - dans l'accès à l'énergie, les emplois de qualité et les opportunités.” -  Christopher Balliet Bleziri

TF (à Christopher Balliet-Bleziri) : Avant de poursuivre avec la Banque mondiale, nous allons nous tourner vers votre collègue de l’IFC, branche du Groupe de la Banque mondiale qui s'occupe du secteur privé. L’IFC est également concernée par ce nouveau CPF et cette collaboration. Pourriez-vous nous donner un aperçu de l'évolution de vos relations, sachant que l'IFC n’a des bureaux au Togo que depuis cinq ans ?

CBB: La SFI n'est pas nouvelle au Togo, nous avions déjà des investissements, mais principalement orientés sur les infrastructures. Avoir un bureau pays,  nous permet de nous rapprocher de nos partenaires, de nous concentrer sur des secteurs à forte valeur ajoutée et capables de créer plus d'emplois, comme l’industrie et l'agriculture. Nous avons commencé avec un portefeuille d'investissements en 2019 de moins de 20 millions de dollars, qui atteint aujourd'hui environ 140 millions de dollars injectés dans l'économie togolaise. C'est significatif, mais il reste beaucoup à faire.

Nous avons également un pipeline de projets identifiés mais non encore financés, avec un potentiel de financement de 375 millions de dollars. Notre portefeuille actuel se répartit entre les infrastructures, les télécoms, l'énergie, les transports, l'industrie, l'agriculture et le secteur financier.

L'essentiel pour nous, c'est l'impact. Nous parlons de millions de dollars, mais ce qui compte vraiment, c'est l'amélioration de la vie des Togolais - dans l'accès à l'énergie, les emplois de qualité et les opportunités.

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TF : Aujourd'hui, la BM se concentre surtout sur les financements aux États et aux entreprises. Envisagez-vous d'élargir votre soutien aux organisations de la société civile ?

FS : Absolument. Dans le CPF, nous avons un chapitre sur l'engagement des parties prenantes, y compris la société civile. Nous voulons qu'elles jouent un rôle de contrôle citoyen dans la mise en œuvre des politiques publiques. Des exemples dans d'autres pays montrent que ce type de contrôle peut améliorer la qualité des services.

CBB: La Banque mondiale consulte régulièrement les organisations de la société civile pour les tenir informées de l'évolution des programmes et recueillir leurs feedbacks. Nous devons créer un climat de confiance entre tous les acteurs pour que les actions soient efficaces et bénéficient à la population.

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TF : Nous sommes aujourd'hui dans un contexte régional complexe, marqué par différentes tensions socio-politiques. Que fait la Banque mondiale pour répondre à ces défis ?

FS : Notre institution, qui se concentre sur le développement, ne peut ignorer ce contexte. C'est d'ailleurs dans ce cadre que nous avons développé depuis quelques années, une approche très intégrée pour la prévention et la résilience. Cette approche se décline en trois étapes. La première étape consiste en une étude analytique appelée Risk Resilience Assessment, qui permet d’identifier les facteurs et vecteurs de fragilité, et de déterminer comment les résoudre. Une fois cette étude analytique réalisée, nous passons à la deuxième phase, qui consiste à développer des solutions et à voir dans quelle mesure le pays peut accéder à des ressources additionnelles pour régler ces facteurs en amont et prévenir davantage d'instabilité dans la sous-région.

S’il y a des facteurs endogènes qui expliquent ces risques, ce sont surtout des questions de développement, comme l'accès à la terre ou les opportunités économiques limitées pour certains groupes qui peuvent se sentir marginalisés. La dernière étape consiste à recalibrer notre portefeuille pour répondre à ces défis. Nous avons développé cette approche de manière régionale, et le projet de cohésion sociale (COSO) en est un exemple. Ce projet nous permet d’aborder les questions de manière régionale et individuelle par pays. Ce financement additionnel est extrêmement important car il va permettre de résoudre des questions à l'origine des conflits et de l'instabilité.

Nous essayons autant que possible d'apporter des solutions économiques et sociales à ces questions. Naturellement, nous encourageons également les États à travailler ensemble pour les résoudre. En dehors des défis de cohésion sociale, nous avons des programmes régionaux dans d'autres secteurs. Par exemple, pour la résilience côtière, nous avons un programme sous-régional qui y contribue. Nous voulons continuer à promouvoir la régionalité dans beaucoup de nos interventions pour que, de plus en plus, en Afrique de l'Ouest en particulier et en Afrique en général, les solutions que nous apportons soient économiques et sociales.

CBB : Il faut ajouter que ces questions de fragilité et de sécurité sont aussi liées au manque d'emploi. Une façon d'y remédier est de doter les régions affectées d’infrastructures de base nécessaires, tout en permettant au secteur privé de contribuer à combler ce manque. Le secteur privé le plus à même de répondre à cela est le secteur privé local. Il s'agit donc de permettre à des entreprises locales d'intervenir dans des zones souvent évitées et de générer des activités économiques pour ces populations. C’est un défi, bien sûr, mais c’est un levier important pour renforcer la résilience dans ces zones économiques.

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TF : Justement, comment l'IFC soutient-elle le secteur privé au Togo, notamment les entreprises de plus petite taille, puisqu’elle a la réputation de n’accompagner que de grandes entreprises ?

CBB : Cette perception est compréhensible, car elle a été vraie par le passé. Nous avons commencé avec une stratégie d'accompagnement des multinationales vers les marchés émergents. Notre défi est que les projets d’investissements dans les marchés émergents  sont relativement de petite taille avec des problèmes de structuration.

Nous avons évolué dans notre approche. Au lieu de chercher uniquement des projets bancables, nous explorons comment rendre ces projets bancables. Nous avons mis en place des ressources humaines et financières pour préparer les projets en amont, en ciblant des entreprises avec un vrai potentiel de croissance.

Nous devons être sélectifs. Il y a de très petites PME qu'on ne pourra pas accompagner. Mais il y a des PME avec une capacité et un potentiel de croissance très élevés, qui opèrent déjà dans divers secteurs d’activités économiques.  À celles-ci, nous fournissons des outils et des ressources pour renforcer leur gouvernance, mieux connaître leur marché, faire des études de faisabilité, améliorer leurs processus de production, et mitiger les impacts environnementaux et sociaux. Tout cela, dans le but de les rendre prêtes à l’investissement pour IFC ou pour d’autres investisseurs.

Nous faisons un mix de projets de différentes tailles. On ne peut pas faire uniquement des projets de petite taille, ni l’inverse.

TF : L'IFC a même développé une initiative pour les “champions locaux”, qu’en est-il ?

CBB : Effectivement. Nous avons une initiative pour accompagner des champions locaux. Il s’agit d’entreprises avec une bonne maîtrise de leur marché, mais qui sont dans une phase de stagnation. Elles ont besoin de financements pour grandir mais rencontrent des défis vis-à-vis de l’exploitation optimale de leurs activités pour prendre du crédit.

Nous avons identifié au Togo, au Niger, au Mali, au Burkina, en Guinée et au Tchad des entreprises industrielles, manufacturières et dans l’agribusiness avec un fort potentiel de croissance. Elles ne sont pas encore prêtes pour des investissements selon nos critères, mais avec quelques outils, elles peuvent passer ce cap.

Environ une vingtaine d’entreprises ont été accompagnées cette année. Lors d’un forum à Lomé en avril, ces entreprises ont reçu des formations sur la gestion financière, la gestion des  risques environnementaux et sociaux, la préparation d'un business plan pour lever du financement. Six d'entre elles ont déjà reçu des financements de l'IFC sur l'année fiscale écoulée, et nous en préparons presque une dizaine pour cette année fiscale qui démarre.

“Les mécanismes et les structures nécessaires pour gérer un portefeuille de 200 millions de dollars ne seront pas les mêmes que pour un portefeuille de 1,5 à 2 milliards de dollars.” - Fily Sissoko

TF : Quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans votre collaboration avec le gouvernement et les différentes parties prenantes du Togo ? Et comment allez-vous surmonter ces obstacles pour un meilleur impact de vos actions ?

FS : Cette question est très importante. Les mécanismes et les structures nécessaires pour gérer un portefeuille de 200 millions de dollars ne seront pas les mêmes que pour un portefeuille de 1,5 à 2 milliards de dollars. Il faut apporter des changements pour plus d'efficacité.

Il y a pour moi quatre points essentiels sur lesquels il faudrait se focaliser, non seulement du côté du gouvernement, mais aussi du côté de la Banque. Le premier est le sens de l'urgence. J'ai l'impression qu'on ne traite pas toujours le développement avec l'urgence qu'il faut. Le temps perdu dans le traitement des dossiers affecte des vies humaines, des malades, des familles vulnérables, des citoyens, etc. Chaque dossier est urgent. L'engagement que nous prenons de notre côté au niveau de la Banque est de toujours essayer d'accélérer les prises de décisions. Nous voulons d'ailleurs suggérer qu'il y ait des revues de portefeuille trimestrielles pour examiner les gros contrats, identifier les points de blocage et les lever rapidement.

Le deuxième point concerne les réformes structurelles. Une partie de la Banque, souvent oubliée, est le Knowledge Bank et les études analytiques. Ces études permettent de réfléchir au Togo 2045 ou 2050 et d'identifier les moteurs futurs de la croissance. Nous prévoyons deux études extrêmement importantes en partenariat avec le Togo. La première est une étude sur le changement climatique qui permettra de réfléchir et d'aborder cette question d'un point de vue économique et des opportunités. La deuxième est le “growth report” dans une perspective de benchmarking, en prenant exemple de ce qui a fonctionné dans des pays comme Singapour, le Vietnam, ou encore le Rwanda.

Le troisième point concerne les capacités institutionnelles, surtout dans les secteurs complexes comme l'agriculture, l’industrie ou l’énergie. Renforcer les capacités institutionnelles est crucial pour une meilleure mobilisation des ressources.

Enfin, le quatrième point est la qualité de la dépense et la gouvernance. Il faut s'assurer que les fonds mobilisés soient utilisés efficacement avec très peu de pertes. Cela demande un partenariat étroit entre la Banque et le gouvernement pour surveiller de près les dépenses. Nous sommes prêts à accompagner le gouvernement dans la mise en œuvre de ces solutions.

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CBB: Nous sommes confrontés à des défis importants, mais nous devons avoir le courage de nos ambitions. Il faut prendre des décisions difficiles, car le coût de l’inaction est plus grave que tout. La confiance doit nourrir les actions du gouvernement et celles du secteur privé qui choisit d’investir au Togo, qu’il soit local ou international.

Le sens de l'urgence est également crucial. Le contexte économique et social de la région est extrêmement fragile. Nous n’imaginons pas le stress que vivent les populations dans les zones nordiques, mais nous ne sommes pas à l'abri. Une petite déstabilisation pourrait mettre nos économies en difficulté. Il faut créer ce sens de l'urgence à tous les niveaux, que ce soit pour les jeunes, la société civile, les gouvernants, ou nous, les partenaires.

Un autre défi est l'amélioration du climat des affaires. Le Togo a été un champion pendant plusieurs années, mais il faut continuer. Ce n'est pas seulement le nombre d'entreprises créées chaque jour qui compte, mais leur durabilité. Il est essentiel d'évaluer la survie des PME dans le temps.

Enfin, le défi de la confiance est fondamental. Le secteur financier repose sur la confiance. L'argent ne va que là où les opérateurs économiques et le gouvernement se font confiance. Il faut créer et renforcer ce climat de confiance entre tous les acteurs pour agir et interagir sainement.

Interview réalisée par Ayi Renaud Dossavi

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