(Togo First) - Confrontée à des difficultés financières, SUNU Bank Togo entame une restructuration drastique. Fermetures d’agences, suppressions de postes et recapitalisation sous contrôle étroit : la filiale togolaise du groupe SUNU joue son avenir sur fond de tension sociale et d’incertitudes.
Lorsque SUNU Group a repris la Banque Populaire pour l’Épargne et le Crédit (BPEC) en 2017, son ambition était claire : s’appuyer sur cette acquisition pour marquer son entrée dans le secteur bancaire, après avoir bâti une solide réputation dans l’assurance et consolidé sa position parmi les acteurs majeurs de la sous-région.
Mais huit ans plus tard, cette aventure n’a pas encore tenu toutes ses promesses. La filiale togolaise, qui fut la première implantation bancaire du groupe qui compte désormais deux banques et un établissement de microfinance, traverse aujourd’hui une période difficile. Confrontée à des difficultés financières persistantes, elle amorce sa restructuration.
Le 3 février 2025, la direction générale de la banque a officiellement transmis aux représentants syndicaux et à l’inspection du travail une lettre actant un plan de réorganisation. Le plan est sévère : fermeture de sept agences et cash-points jugés non rentables, suppression de postes, fusion d’activités et redistribution des effectifs.
Face à ces annonces, le Syndicat des employés et cadres des banques, des établissements financiers et des assurances du Togo (Synbank) rejette en bloc les justifications avancées par la banque. Pour les représentants du personnel, les difficultés financières de SUNU Bank Togo sont d’abord le résultat d’une mauvaise gestion, et non d’un excès de charges d’exploitation.
Des fondamentaux sous surveillance
La banque explique ces décisions par un besoin urgent d’optimisation des coûts et d’amélioration de la rentabilité. Le coefficient d’exploitation, indicateur clé de la performance bancaire, a atteint plus de 90% entre 2018 et 2023. Autrement dit, pour chaque franc généré, 90 centimes sont absorbés par les coûts de fonctionnement. Un niveau bien au-dessus des standards du secteur, qui oscillent entre 50 et 60%.
Entre 2021 et 2022, la situation de la banque s’est même détériorée. En 2022, les coûts fixes de SUNU Bank Togo représentaient 96% du produit net bancaire (PNB) contre 98% en 2021. Les charges de personnel ont donc davantage détérioré la rentabilité de SUNU Bank Togo entre 2021 et 2022, indiquait la banque dans un rapport de présentation consulté par Togo First. En 2023, son coefficient d’exploitation s’est davantage détérioré pour s’établir à 110%.
La banque estime que le niveau actuel de ses charges demeure incompatible avec sa rentabilité à moyen terme. Parmi les principaux postes de coûts identifiés figurent la masse salariale et les pratiques de rémunération jugées non conformes. La direction pointe notamment des systèmes d’avancement catégoriel inadaptés, des allocations de congés payés et primes de caisse élevées et une politique de crédit interne aux employés à des conditions trop avantageuses.
Coup d’accordéon
Un autre élément a précipité cette restructuration : la révision des exigences réglementaires. En décembre 2023, la Commission bancaire de l’UEMOA a relevé le capital social minimum des banques de 10 à 20 milliards FCFA, obligeant plusieurs établissements à renforcer leurs fonds propres.
SUNU Bank a suivi cette directive en lançant en décembre 2024 une augmentation de capital de 11,16 milliards FCFA. L’opération a été validée par son conseil d’administration et a reçu le visa de l’Autorité des marchés financiers de l’UMOA (AMF-UMOA). Cette levée de fonds, qui proposait 2,48 millions d’actions nouvelles au prix unitaire de 4500 FCFA, devait permettre à la banque de se conformer aux nouvelles exigences réglementaires et de renforcer ses fonds propres sous pression.
La situation de SUNU Bank Togo ne date pas d’hier. Depuis son entrée au capital en 2017, elle a, à travers son véhicule SUNU Investment Holding, multiplié les ajustements du bilan pour se stabiliser. Une première injection de 14,3 milliards FCFA avait alors porté le capital social à 20,8 milliards FCFA, opération qui a scellé à l’époque la privatisation de la BPEC.
Mais dès 2019, soit deux ans plus tard, le groupe opère un revirement stratégique en réduisant le capital de 11,4 milliards FCFA, avant de l’augmenter à nouveau de seulement 1,8 milliard FCFA, ce qui permettait de fixer le capital à 11,16 milliards FCFA. Une décision officiellement motivée par la nécessité d’absorber les pertes accumulées et de restructurer la base financière. Dans les faits, cette manœuvre a surtout réduit la pression sur la rentabilité des fonds propres et renforcé le contrôle du groupe SUNU sur la banque, avec des parts qui sont passées de 65,7% à 71,64% au terme de l’opération. Ce contrôle, le groupe y tient depuis le début. SUNU Investment Holding insistait d’ailleurs sur le fait qu’il comptait conserver son contrôle majoritaire (71,64%), lors de l’opération lancée en décembre 2024 et avait, à cet effet, structuré l’offre pour limiter l’entrée de nouveaux investisseurs indépendants. Ainsi, l’entrée de nouveaux investisseurs était strictement encadrée et nécessitait un accord préalable avec un actionnaire existant.
Pourtant, plus d’un mois après la clôture de la souscription à la nouvelle augmentation de capital, la banque reste muette sur les résultats de l’opération. Le niveau réel de souscription demeure inconnu.
Et cinq ans après le ‘’coup d’accordéon’’, l’établissement peine toujours à retrouver un équilibre. Au 31 décembre 2023, il affichait un résultat net déficitaire de -1,1 milliard FCFA (en baisse de 319%), effaçant une grande partie des bénéfices réalisés ces dernières années. Son ratio de solvabilité, certes de 12,38%, reste légèrement au-dessus du seuil réglementaire de 11,5%.
Un dialogue social dans l’impasse
Si la direction met en avant la nécessité de cette restructuration pour assurer la pérennité de l’institution, pour le Synbank, c’est un écran de fumée. Le syndicat et les représentants du personnel s’opposent fermement au plan de licenciement.
Depuis plusieurs mois, les discussions patinent. Le 8 octobre 2024, le président du conseil d’administration a reçu les représentants syndicaux pour une première série d’échanges. Le 10 janvier 2025, la direction générale a convoqué une nouvelle rencontre, après expiration du délai réglementaire prévu par la convention collective.
Mais ces négociations n’ont pas permis de trouver un consensus. Le syndicat réclame un audit indépendant des comptes de la banque et un avis conforme de la Commission bancaire de l’UEMOA avant toute négociation. Il refuse par ailleurs de réceptionner les états financiers certifiés transmis par la direction, estimant qu’ils ne permettent pas de faire un état des lieux complet des difficultés évoquées.
Face à cette impasse, la direction a décidé de passer en force et soutient que le processus est « irréversible ».
Fiacre E. Kakpo