(Togo First) - Passionné par la protection de l’environnement, Bemah Gado fait partie des jeunes entrepreneurs togolais qui changent le quotidien de leurs communautés.
Lauréat en 2015 du concours « Projet Vert » organisé par le Faiej avec l’appui du Pnud, son projet dont l’utilité publique est reconnue, a reçu le soutien de nombreux partenaires au développement, sur le plan national comme international. Avec son entreprise, il réalise un chiffre d’affaires mensuel de 2 600 000 Fcfa. Il a créé 22 emplois directs et généré plus de 800 autres indirects. Togo First est allé à sa rencontre. Interview.
Togo First : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Bemah Gado : Je suis Bemah Gado, j’ai 28 ans. Je suis Directeur de l’ONG « Science et Technologie Africaine pour un Développement Durable » et Directeur Général de la société Green Industry Plast Togo, une société spécialisée dans le recyclage des déchets.
T.F : Pourquoi avoir entrepris dans l’environnement et particulièrement dans le recyclage des déchets plastiques ?
B.G : Je suis né dans le Grand Nord du Togo et je n’ai pas bénéficié d’assez de soutiens financiers pour réaliser mes études. J’ai été accompagné par mes frères pendant mon cursus scolaire et après l’obtention de mon baccalauréat, je suis arrivé à l’Université de Lomé où il fallait me défendre pour vivre et financer ma scolarité. Je m’intéressais donc à toute activité pouvant être source de revenus.
Depuis tout petit, j’avais à cœur les problèmes environnementaux et plus particulièrement de salubrité. J’aimais être propre et vivre dans un endroit qui l’est également. Or à mon arrivée au campus, j’ai remarqué l’état d’insalubrité dans lequel se trouvait cet endroit que je devais fréquenter. Donc, j’ai décidé d’y apporter une solution, sans oublier parallèlement de mener une activité qui me permettra de financer ma scolarité.
A partir de ma deuxième année universitaire, j’ai monté une association avec des amis étudiants, que nous avons dénommée « Science et Technologie Africaine pour un Développement Durable ». Nous avons commencé à mener des actions au sein de l’Université. C’est comme cela que tout est parti. Nous sortions chaque semaine pour faire des nettoyages des sites les plus fréquentés et les plus insalubres sur le campus. Nous dégagions les déchets et nous les entreposions à des endroits beaucoup plus discrets.
Un jour, un acteur de développement local passait et il nous a vus à l’œuvre. Il nous a interpellés et questionnés sur notre activité. A la question de savoir ce que nous faisions des déchets que nous amassions, nous avions répondu que nous nous contentions de les stocker quelque part, loin des regards. Il nous a dit que nous pouvions en faire un business ou une activité génératrice de revenus.
Nous avons donc eu une discussion, et il nous a indiqué une structure au Ghana où une industrialisation s’est développée autour du traitement et du recyclage des déchets.
Nous avons fait le déplacement et nous avons pu effectivement constater qu’il y avait une possibilité d’entreprendre un business tout en protégeant l’environnement.
A notre retour, nous avons collecté des déchets plastiques que nous sommes allés vendre là-bas et nous sommes revenus avec des sous. Cela a été le point de départ effectif des activités de l’association. Grâce aux sommes engrangées avec la multiplication de nos voyages au Ghana, nous avons loué un siège et nous nous sommes mis à réfléchir sur la manière de pérenniser cette activité de façon à ce qu’elle puisse impacter maintenant la communauté et non plus exclusivement l’Université.
Nous réfléchissions sur la question en 2015, au moment où le Fonds d’Appui aux Initiatives Economiques des Jeunes (Faiej), a lancé un concours des Projets Verts, lors des Journées de l’Entrepreneuriat et de Développement (JED) avec l’appui du PNUD. Nous y avons participé et nous avons été lauréats.
Avec la ministre du développement à la base, Victoire Tomégah-Dogbé.
C’est là que l’idée d’entreprise a germé, l’idée de pouvoir mettre en place une entreprise de recyclage de déchets au Togo, pour traiter directement ces déchets au Togo, au lieu de les envoyer au Ghana. Voilà un peu mon histoire et celle de mon entreprise.
T.F : En Dehors du Faiej, avez-vous bénéficié d’autres accompagnements?
B.G : Oui. Nous avons obtenu une subvention de 1,5 million Fcfa après notre victoire au concours, montant auquel se sont ajoutés des appuis complémentaires, aussi bien techniques que financiers, de la Mairie de Lomé et de bien d’autres partenaires.
En effet, le premier est la Mairie de Lomé. Lorsque nous avons commencé la collecte et que nous avons voulu sortir du cadre universitaire et aller dans la ville, c’est à la Mairie que nous nous sommes adressés. Elle nous a fourni les autorisations pour nous installer à proximité de leurs points de déchets. Cela nous a permis de récupérer les déchets que les pré-collecteurs venaient déposer.
Après avoir réussi au concours et au moment où nous devions bénéficier d’une subvention pour monter l’entreprise de recyclage, nous nous sommes encore tournés vers la Mairie pour qu’elle nous octroie un espace afin de pouvoir y développer l’activité. Ce qui a été fait, parce qu’ils ont compris l’utilité de ce projet.
Il y a également eu l’ANASAP, (Agence Nationale de Salubrité Publique) qui nous a aussi accueillis à bras ouverts et nous a accordé une subvention de 1 500 000 FCFA pour commencer le montage de l’unité de recyclage. Le directeur de l’Agence, le Général Béréna, a mobilisé des engins afin de déblayer l’espace que nous a accordé la Mairie de Lomé.
Donc vous remarquerez que c’est tout un maillage d’institutions étatiques qui étaient intéressées, pour gérer un problème qui n’était pas seulement le nôtre mais public. Nous avons également reçu l’appui de partenaires internationaux que je veux remercier par le canal de Togo First.
L’Ambassade de France à travers le Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC), nous a soutenus avec 3 370 000 Fcfa. Le PNUD par le biais du Programme de Micro financement de Fonds pour l’Environnement Mondial nous a accompagnés à hauteur d’environ 15 millions de Fcfa.
Tout ceci a contribué à mettre en place les infrastructures. C’est un grand site qui a nécessité beaucoup d’investissements, notamment la construction des murs et la clôture, les forages, l’électricité et le reste. Tous ces appuis nous ont aidés dans la mise en place des infrastructures. Compte tenu de ces investissements, les fonds de roulement disponibles étaient insuffisants.
Nous avons également sollicité le FAEIJ en 2015, après la subvention, pour un crédit additionnel de 3 000 000 Fcfa et c’est cela qui nous a permis d’acheter la machine et tous les autres outils nécessaires à la réalisation du projet.
T.F : Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous êtes confrontés ?
B.G : Ils sont techniques et financiers. Malgré toutes les sommes que j’ai mentionnées plus haut, il reste encore à faire. Il faut consolider ce qui a déjà commencé, renforcer la base existante en ajoutant des infrastructures. Nous avons besoin surtout d’équipements, de machines.
Il faut avoir une camionnette qui collectera les déchets au niveau des unités de récupération pour pouvoir les envoyer sur le site.
Pour ce qui est du site, il n’est pas encore une construction qui répond vraiment aux normes d’une usine, d’une entreprise ou d’une unité avec toutes les mesures de protection.
Le site de recyclage dans son état actuel, n’est pas encore ce qu’il doit être. C’est vrai que la machine a la capacité de recycler de grands tonnages, mais le site n’a pas encore la dimension d’une infrastructure adéquate pour pouvoir recevoir de grandes quantités pour faire la transformation ; donc il faut aménager des espaces de stockages, de dépôt des matières.
Nous désirons aller vers une production à grande échelle. Pour cela, il faut acheter des machines de qualité pour produire les objets au niveau local au lieu de les importer. Cela fera une plus-value si on produit la matière au niveau local. Ça va réduire les coûts sur les marchés.
Encore du pain sur la planche…
A titre d’exemple, la ville de Lomé produit près de 313 000 tonnes de déchets par an selon les chiffres officiels. Vous avez à peu près 20% qui sont constitués de matières plastiques. C’est vous dire la quantité de travail que nous faisons quotidiennement.
Voilà donc tous les défis auxquels nous sommes confrontés mais nous travaillons sans relâche à la mobilisation des ressources pour atteindre nos objectifs.
T.F : Quelles sont vos projections pour les années à venir ?
B.G : Monter une grande entreprise de recyclage de déchets plastiques de renommée internationale. Pour cela, nous envisageons d’impliquer tout le monde. Quel que soit son statut social. Tout le monde, petit comme grand, peut faire ce travail en séparant les déchets. A notre niveau, nous ne sommes pas sélectifs au moment d’acheter les déchets plastiques qui nous sont apportés. Nous payons tout le monde selon le poids de ses déchets.
L’ambition à long terme, c’est de pouvoir amener tous les ménages à une gestion sociale des déchets en les triant et en revendant les fragments recyclables. C’est comme cela que nous arriverons à bout de nos déchets.
Aujourd’hui j’emploie directement 22 personnes et nous avons généré plus de 800 emplois indirects. Je veux augmenter ces chiffres et faire en sorte que d’ici à 2019, nous soyons autour de 5000 emplois indirects, et une centaine d’emplois directs.
Nous avons constaté que le déchet plastique est de l’or et au lieu de dire l’ordure, nous disons « l’or dure » pour faire un jeu de mots. Si on s’y met tous, chacun pourra en tirer parti.
T.F : Envisagez-vous de sortir de Lomé et conquérir d’autres villes avec votre entreprise ?
B.G : C’est déjà entamé. Nous avons commencé une collaboration avec la Mairie de Tabligbo, et dans un avenir très proche et peut être dans les semaines à venir, nous pourrions démarrer notre collaboration.
Nous avons également reçu les acteurs de Tsévié et de Sokodé dans nos locaux il y a quelques semaines. Ils sont venus voir dans quelle mesure nous pouvons travailler. Et nous sommes en train de voir comment anticiper dans la planification locale, comment participer en intégrant cette phase de gestion de déchets dans ces plans de développement locaux afin que les collectivités ou les villes que nous venons de citer n’éprouvent pas les mêmes difficultés que la ville de Lomé, avant de chercher des solutions. Cela a démarré avec un processus qui est déjà en cours.
Nous avons plusieurs entreprises avec lesquelles nous travaillons. Nous avons une entreprise à Accra, Family Industry Plast, Bel Aqua qui fait du recyclage en plus de l’eau, il y a également des entreprises chinoises avec lesquelles nous collaborons. Au Togo nous travaillons aussi avec plusieurs sociétés de la place.
T.F : Un conseil à un jeune qui a envie de « se salir les mains » comme vous le faites ?
B.G : La jeunesse est le moteur du développement d’un pays. C’est elle qui déborde d’énergie et a beaucoup à offrir à la nation. Le problème des déchets ne finira pas de sitôt. Tous les jeunes peuvent s’y mettre et se joindre à nous. Il n’y a pas que ça à faire. Beaucoup de problèmes sociaux sont là et attendent qu’on les prenne à bras-le corps.
La jeunesse, lorsqu’elle est responsable et consciente, peut participer au processus de développement du pays.
Si nous sommes arrivés à créer tous ces emplois que vous voyez, c’est parce qu’on a pris la responsabilité d’impacter notre société. Et les décideurs ayant compris l’utilité et le sérieux de ce que nous faisons, nous accompagnent.
Si nous arrivons à collaborer avec le gouvernement, avec les organisations internationales avec les administrations publiques, c’est parce que nous avons su montrer notre engagement, notre détermination et surtout notre honnêteté. C’est ce que la jeunesse doit démontrer, regarder où on va, regarder et d’où l’on vient. Il ne sert à rien de rester dans son confort pour dire que c’est parce qu’on n’a pas de relations. Les relations, on les crée à partir de son engagement.
La ministre du développement à la base, Victoire Tomégah-Dogbé, a dit lors de sa visite dans mon centre (à l’occasion de la tournée de proximité entreprise par le ministère en Juillet 2018, ndlr), qu’on crée sa marque et sa responsabilité à partir des actes qu’on pose.
Interview réalisée par Octave A. Bruce