(Togo First) - Au Togo, les initiatives entrepreneuriales des jeunes foisonnent. Si certains parmi eux bénéficient de l’incubation, beaucoup manquent de repères après cette étape pour bien développer leurs entreprises. C’est le problème que Dagba, un accélérateur de startups veut résoudre, afin de fabriquer des champions. Son fondateur et Managing partner d’Optimum Partners a accordé une interview à Togo First (TF).
TF : l'accélérateur Dagba, qu'est ce que c'est ?
Brice Tchendo: Dagba a un double sens. En Yoruba, il signifie grandir et en ewé, échouer. La rencontre de ces deux mots est dans la vie d'un entrepreneur qui doit grandir. Mais avant de grandir, on voit beaucoup de gens qui échouent. Nous, on s'est dit qu’on va créer un espace qui permet aux entrepreneurs de grandir et d'éviter d'échouer. Ceci se matérialise par un accompagnement qui s'appelle l'accélération, qui nous permet de soutenir les entrepreneurs depuis leur structuration jusqu'à la levée de fonds. Avec nos partenaires, les fonds d'investissement étrangers et investisseurs locaux, les Business Angels, on essaie de présenter, de faire le lien entre les investisseurs et les entrepreneurs. On accompagne les entrepreneurs pour qu'ils répondent aux critères des fonds d'investissement ou d'autres investisseurs, pour qu'ils aient des fonds pour se structurer, afin de mieux se développer.
TF : comment vous est venue l’idée de créer Dagba ?
L'idée de cet accélérateur est née depuis 2021. Je ne fais que deux ans à Lomé et ça m'a permis d'observer un peu le marché, de voir ce qui s'y passe, de voir les maillons faibles dans l'écosystème entrepreneurial. Ce qui m'a permis de concevoir un plan d'accompagnement qui pourra répondre aux besoins exacts et compléter un peu l'accompagnement du gouvernement à travers les incubateurs et tous les programmes d'accompagnement à l'entrepreneuriat qui existent.
TF : Pourquoi, justement, ciblez-vous le monde entrepreneurial togolais ?
On a remarqué qu'il y avait un certain nombre de dispositifs d'accompagnement de l'État au profit des micro-entrepreneurs. Il y a la phase où on accompagne de l'idée à l'entreprise, la phase où on stabilise l'entreprise avec un financement ou un fonds d'amorçage. Mais après, il n'y a plus d'accompagnement. Donc, les entrepreneurs sont laissés pour compte. Ils essaient d'avancer tant bien que mal et ça ne leur permet pas de s'exporter. Quand je dis « s'exporter », c'est de pouvoir sortir du pays, voir autre chose, avoir des ambitions à l'extérieur. Et donc, nous, on s'est dit voilà le créneau sur lequel on veut se positionner. C'est de prendre ceux qui sont sortis des incubateurs, ceux qui ont suivi ou pas des programmes d'accompagnement à l'entrepreneuriat et qui sont à un niveau où ils doivent être accélérés. « Accélérés », c'est ce que les Anglais appellent « scale up » et ils doivent scale up. Avant de « scale up », il faut avoir un certain nombre de choses, de structuration, de système de gouvernance, un certain nombre d'outils de gestion en interne pour que les investisseurs aient confiance en vous.
Au-delà du produit et du marketing, c'est aussi la personnalité de l'entrepreneur, le système de gouvernance qu'il met en place et la capacité à manager et à diriger son business qui sont importants pour un investisseur. Donc, nous, on s'est dit qu’on va se positionner sur ce créneau là, on va les accompagner, parce que c'est un besoin qu'on a identifié auprès des investisseurs, des banques, des fonds d'investissement qui disent que les entrepreneurs ne sont pas structurés et n'ont pas une vision claire du driving de leur société.
TF : avec combien de partenaires travaillez-vous sur cette initiative ?
Aujourd'hui, on a une dizaine de partenaires techniques qui nous accompagnent, que ce soit des cabinets d'avocats, des cabinets d'expertise comptable, des associations... Nous avons par exemple la chance aujourd'hui d'avoir le cabinet de Me Aquereburu, comme partenaire juridique et qui a accepté d'accompagner les entrepreneurs sur le volet juridique. Sur les fonds d'investissement, nous sommes en discussion avec cinq fonds qui ne sont pas au Togo et on essaie de les faire venir. Ils sont plus basés en Côte d'Ivoire ou au Sénégal. Il y en a en Afrique de l'Est également.
TF : aujourd'hui, il y a certains incubateurs qui existent déjà au Togo, comment entendez-vous vous démarquer sur ce segment ?
Les incubateurs sont nos partenaires, parce que justement, nous prenons des produits qui sortent des incubateurs. Nous sommes le premier accélérateur, justement, à Lomé et pour nous, l'idée, c'est d'être partenaire des incubateurs. Quand ils finissent leur phase d'incubation et qu'ils ont déjà atteint un certain niveau, nous, on les prend et on les accélère. Donc, faire la différence, je ne dirais pas ça, mais c'est plutôt être en partenariat avec ceux qui existent déjà.
TF : concrètement, l'entrepreneur qui quitte un incubateur, à quoi doit-il s'attendre avec-vous ?
L'entrepreneur qui suit un programme d'accélération, à la fin de ce programme, sera doté d’outils de gestion interne et sera mieux structuré. Ça, c'est la première des choses très importantes pour nous. Notre programme d'accélération démarre par une phase de diagnostic. Après le diagnostic, on met à niveau l'entreprise. Mettre à niveau signifie doter l'entreprise de systèmes de gouvernance, d’outils de gestion qui vont lui permettre de piloter l'entreprise avec efficacité et efficience.
Après tout ce programme d'accompagnement, suivra une levée de fonds. On les présente aux investisseurs, aux groupes d'investisseurs qu'on a, et c'est à ces investisseurs de pouvoir s'intéresser à leurs projets. Mais avant de les présenter aux investisseurs, on les prépare à ce qu'on appelle le pitch. Donc, il y a le pitch auquel ils sont très préparés et ils vont présenter leurs projets de manière spécifique à des investisseurs. Comme ces investisseurs ne sont pas des nationaux, il va falloir aller au-delà de ce qu'ils ont l'habitude de faire, de ce qu'ils ont vu déjà au niveau des incubateurs, aller au-delà et présenter leurs projets de manière spécifique pour que les fonds d'investissement puissent s'intéresser à leurs initiatives.
In fine, l'entrepreneur qui est déjà installé, qui suit notre programme d'accélération est mieux structuré et il est présenté au fonds d'investissement et à d'autres partenaires, puisqu'il y aura un networking. Il y aura un voyage d'études au Sénégal où ils vont sortir de leur zone de confort et aller voir autre chose, ce que leurs compères ont déjà fait dans un autre pays. Et donc, ils sortent de notre programme d'accélération, très transformés et mieux aguerris.
TF : quels sont les défis que vous voulez relever à travers cette initiative ?
Un seul défi, fabriquer des champions locaux. C'est ça, notre devise. On le voit ailleurs pour ce que j'ai vu avec mes précédentes expériences dans d'autres pays. C'est le pays qui doit fabriquer et non les entrepreneurs eux-mêmes. Les entrepreneurs ont des idées, des entreprises et essaient de rouler, mais après c'est le pays qui doit les porter. Parce que justement, dans l'écosystème entrepreneurial international, quand on parle des champions, le Togo est peu cité.
On vient de terminer la Semaine de l'innovation où on avait de très bons projets. Et ces projets-là, il faut pouvoir les accompagner. Il faut accélérer ces entrepreneurs pour qu'ils deviennent des champions locaux.
TF : quels sont les secteurs de l'entrepreneuriat que vous lorgnez déjà ?
Plusieurs secteurs. D'abord le secteur de la technologie. Nous avons déjà fait une phase de sélection. Donc on a déjà sélectionné les startups qu'on va accompagner pour cette première cohorte. Dans cette cohorte, on a huit secteurs d'activités dont la technologie en général, les Fintech, le commerce, l'agroalimentaire, la santé et le tourisme. C'est une phase pilote.
TF : quelles sont les dix entreprises retenues pour cette première cohorte ?
Il y a Kari Kari qu'on connaît bien, Edolé Africa, Fruity Fresh qui est dans l'agroalimentaire, le cabinet Precyeux qui est dans l'e-santé, Destination Togo, une agence de tourisme qui veut concevoir des parcours touristiques au Togo, Ego qui est dans la fintech. C'est une application qui permet de faire de l'interopérabilité des comptes mobiles money. Donc on peut transférer de l'argent de Flooz à Tmoney.
Nous avons aussi DobbeePay, une plateforme qui permet de lever des fonds pour des projets sociaux; Solimi une carte bancaire prépayée rechargeable via mobile money; Cash Water, un dispositif qui favorise la gestion automatique et autonome d’eau de forage.
TF : qu'est ce qui sera fait au cours de cette première phase ?
Le programme d'accélération est subdivisé en quatre étapes. La première étape, c'est un diagnostic global. Le diagnostic se fera sur l'entrepreneur, son produit, son organisation. Après ce diagnostic 360, on va identifier des leviers de croissance, puis bâtir un plan d'accélération.
Ensuite, on met à niveau, avec la conception de tous les outils de gestion, tous les systèmes de gouvernance interne et contrôle interne. Et donc il y aura un coaching pour l'éducation financière des entrepreneurs, parce que c'est très important. On les prépare à lever des fonds, donc il faut un certain nombre de connaissances en éducation financière. La mise à niveau va déboucher sur un voyage d'études.
Après cette étape là, il y aura justement un événement de levée de fonds qui sera grand public, comme on le voit aux Etats-Unis, où les dix entrepreneurs vont pitcher devant des investisseurs. Ce sera à ces investisseurs de dire devant tout le monde… “ton projet m'intéresse, je veux investir là dedans”.
TF : combien de temps va durer cette phase pilote ?
En réalité, la phase pilote dure six mois. On boucle la phase d'accompagnement technique en juillet avec l'événement de levée de fonds. Après on va les suivre, même ceux qui n'ont pas levé les fonds, c'est-à-dire que tous les dix seront accompagnés et suivis. Le suivi se fera pendant six mois, donc globalement un an pour pouvoir suivre cette cohorte jusqu'au bout. En décembre, on fera un bilan pour préparer la cohorte suivante.