(Togo First) - Au-delà de l’effet d’annonce des présidents français et ivoirien, quelles lectures suggère la grande mutation annoncée sur le franc CFA de l’Union monétaire ouest-africaine. Le satisfecit des opinions publiques anti-CFA laissera rapidement place à de nouveaux enjeux.
Emmanuel Macron a profité de sa visite officielle à Abidjan en Côte d’Ivoire du 20 au 22 décembre 2019, pour annoncer la fin d’un des francs CFA, plus précisément celui de l’UEMOA. Le président français a dit avoir entendu les « appels de la jeunesse » de cette sous-région.
« Le franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu’elle juge post-coloniale. Donc, rompons les amarres », a déclaré M. Macron, expliquant qu’il avait été à l’initiative de cette avancée.
Cette déclaration a eu un effet d’annonce positive sur les opinions publiques anti-CFA, qui y voient une « grande victoire ». Le président ivoirien Alassane Ouattara a lui aussi indiqué que cette décision avait été prise en toute souveraineté. Pour sa part, le Fonds monétaire international (FMI), par sa directrice générale, a aussi salué l’initiative.
« Les mesures annoncées s’appuient sur le bon bilan de l’UEMOA en matière de conduite de la politique monétaire et de gestion des réserves extérieures. Ces dernières années, l’UEMOA a enregistré une faible inflation et une croissance économique forte, la situation des finances publiques s’est améliorée et le niveau des réserves de change a augmenté », a expliqué Kristalina Georgieva.
Un effet d’annonce qui nécessite plus de clarifications pour les investisseurs
Mais derrière l’effet d’annonce politique, plusieurs points retiennent l’attention. Le premier est le type de réforme qui a été entreprise. Il est essentiellement question d’un changement de nom de la monnaie concernée qui s’appellera désormais « Eco », et aussi du fait de ne plus affecter les réserves de change de l’UEMOA dans un compte d’opérations logé au sein du Trésor public français.
En revanche, la parité fixe qui lie le CFA actuellement à l’Euro devrait en principe se poursuivre avec la nouvelle monnaie et la garantie de convertibilité de la France devrait aussi se poursuivre sur la base d’un mécanisme qui n’a pas été clairement expliqué. Par ailleurs le président Ouattara n’a pas apporté de précisions sur les nouveaux arbitrages qui l’ont conduit à accepter cette évolution sur une question qu’il avait qualifiée de faux débat vers la deuxième moitié de février 2019 à sa sortie d’une rencontre avec son homologue français. Ce qui lui avait valu de grosses critiques au sein des opinions africaines.
De nombreux médias français parlent aussi de négociations discrètes pour aboutir à cette réforme. La sortie récente du président béninois, Patrice Talon, qui annonçait le retrait de ses réserves de change du compte d’opérations trouve aujourd’hui un autre sens. Il est clair qu’à un haut niveau, les chefs d’Etat de l’UEMOA ont planché sur la question.
Ce qu’on note cependant, c’est que l’ « Eco » n’est pas un projet de l’UEMOA, mais de la CEDEAO dans son ensemble, qui inclut aussi des pays comme le Ghana, le Nigeria, ou encore la Guinée-Conakry et des pays comme le Liberia et la Sierra Leone.
Si la convertibilité de l’Eco continue d’être soutenue, sa stabilité future est incertaine
A ce jour, la manière dont sera gérée la situation extérieure de cette monnaie demeure assez imprécise. Certains analystes ont souvent évoqué la possibilité pour le Naira, la monnaie du Nigeria, d’être la monnaie de réserve de l’Eco, en raison de la puissance de l’économie nigériane. Mais la position extérieure de ce pays demeure assez faible, en raison de sa dépendance vis-à-vis du pétrole.
La stabilité du Naira lui-même est garantie à coût de stratégies multi-taux et des emprunts auprès d’investisseurs internationaux. Une stratégie analogue est mise en œuvre par le Ghana où le volume des réserves de change demeure assez modeste, comparé aux besoins d’importations du pays.
La solution intégrative serait que l’ensemble des futurs utilisateurs de l’Eco acceptent un abandon de leur souveraineté monétaire, au profit d’une entité unique qui s’impose à eux. Mais une telle décision supposerait que le Nigeria marque son accord ; ce qui ne semble pas à l’ordre du jour. Dans la zone UEMOA aussi, les pays leaders comme la Côte d’Ivoire ne risquent pas de laisser de sitôt la gestion de leurs réserves de change.
Par ailleurs, cette évolution des choses ne devrait pas concerner la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), où est utilisé l’autre franc CFA, entendu cette fois comme la Coopération financière en Afrique. Réunis en urgence lors d’un sommet extraordinaire le 22 novembre 2019 à Yaoundé au Cameroun, les pays de la zone CEMAC ont, dans un communiqué final, affiché leur ouverture à mener des discussions en vue de l’évolution de la coopération monétaire.
Dans la zone CEMAC, l’approche des réformes semble pragmatique au-delà des divergences
Mais la déclaration de certains leaders de cette sous-région a permis de voir l’existence de points de divergence sur la manière de mener cette réforme. Pour le président équato-guinéen, Obiang Nguema, il faudrait opérer une rupture définitive avec le partenaire monétaire historique qu’est la France. Pour le président congolais Denis Sassou-Nguesso, c’est un sujet qu’il faut aborder avec un maximum de responsabilité.
Mais l’Agence de notation Moody’s est intervenue dans ce débat sur le franc CFA de la zone CEMAC, pour indiquer qu’un abandon à moyen terme de la garantie française déstabiliserait fortement les économies de cette sous-région. Une des clés de cette analyse est que la CEMAC ne parvient pas à générer suffisamment de devises pour faire face à ses engagements extérieurs et que les stratégies de diversification adoptées par ses pays membres tardent à porter des fruits.
Au-delà de ces discussions politiques et politiciennes, l’Agence Ecofin a pu apprendre que la réforme sur la coopération monétaire a pris une certaine avance dans la zone CEMAC. L’idée est de maintenir les objectifs de stabilité extérieure de la monnaie, tout en apportant de la flexibilité dans la gestion des réserves de change. Ainsi, plutôt que de déposer 50% des avoirs extérieurs dans le compte d’opérations en France, il serait proposé une réforme qui repose sur deux piliers essentiels.
Le premier est que les réserves ne devront plus systématiquement être de 50% des avoirs extérieurs. Elles devront juste suffire à rassurer les marchés quant à la capacité de la BEAC à respecter les obligations de paiements extérieurs et à défendre la parité, tout en étant capable de soutenir un choc extérieur négatif pendant que des mesures correctives sont mises en place. Afin de s’assurer de la bonne constitution de ce fonds commun, chaque pays membre remettrait ses recettes en devises étrangères à la BEAC, de manière à couvrir durablement 5 (cinq) mois de ses importations.
Le deuxième pilier concerne la gestion des excédents de réserves de change. Une fois le seuil des réserves de stabilité de cinq mois atteint, chaque pays disposerait de son propre fonds d’épargne, géré par la BEAC, en fonction de ses objectifs et d’autres considérations qui seront présentées par son gouvernement. Cette approche trouve l’adhésion de certains experts, qui estiment que la France a bien joué sur l’opportunité sociopolitique ambiante pour se décharger d’un engagement sur une monnaie qui ne sert plus particulièrement ses intérêts, mais plutôt ceux de ses concurrents sur le marché des pays d’Afrique francophone subsaharienne.
Idriss Linge