(Togo First) - Le Togo participe depuis le 18 Septembre 2018 à la 73ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies. En marge de cet évènement qui réunit tous les Etats Membres de l’organisation mondiale, Togo First a rencontré Damien Mama, Représentant-Résident du Pnud au Togo. Un tour d’horizon de sujets en matière de développement, avec celui qui coordonne également le Système des Nations Unies au Togo : développement humain, Plan National de Développement (PND), Concours J’NOV pour les ODD, emploi des jeunes, accès des populations vulnérables aux services de base, transferts de fonds de la diaspora. Le responsable onusien a passé en revue l’éventail des actions du Pnud au Togo. Entretien.
Togo First : Vous êtes arrivés au Togo au cours de l’année. Comment le trouvez-vous ?
Damien Mama : Je trouve le Togo très agréable, extrêmement agréable. J’avais déjà passé deux ans dans ce pays entre 2012 et 2014, et c’est avec énormément d’excitation que j’ai accepté le poste ici quand le Secrétaire Général (Antonio Guterres, ndlr) me l’a proposé. Donc c’est avec beaucoup de plaisir que je travaille ici, aux côtés des Togolais et des Togolaises.
T.F : Le Togo a gagné une place par rapport à 2016 lors de la dernière mise à jour de l’Indice de Développement Humain (IDH) du Pnud, occupant le 165ème rang sur 189. Quelles sont les leçons à tirer ?
D.M : Il faut d’abord retenir que le rapport sur le développement humain est un rapport qui est publié depuis 1990. On compare chaque année les progrès que les pays ont faits sur la durée, en matière d’éducation, de santé et de revenus. Le rapport place l’être humain au centre du développement. Parce que la croissance économique n’est pas une fin en soi. La croissance devrait et doit avoir comme objectif de transformer la vie des populations, de l’être humain, du citoyen. Lorsqu’on compare les données au début de l’élaboration des rapports en 1990 aux données de 2017, il y a eu une croissance de 24% de l’indice de développement humain du Togo, ce qui voudrait dire que les Togolais ont une meilleure qualité de vie aujourd’hui qu’il y a 27 ans. Et entre 2010 et 2017, les Togolais ont gagné 3 ans de plus en espérance de vie, donc vivent plus longtemps. Ce sont là de très bonnes nouvelles.
Par contre, je voudrais attirer l’attention sur le fait qu’en dépit de ces progrès que le Togo a réalisés, il y a eu une augmentation des inégalités. Et il s’agit bien d’une tendance mondiale. La tendance mondiale nous dit que nous vivons plus longtemps, nous avons plus de revenus mais l’écart entre les riches et les pauvres se creuse. Donc, s’il y a une leçon fondamentale à tirer, c’est de dire que le Togo doit consolider les progrès mais aussi mettre l’accent sur la réduction des inégalités. Et c’est une bonne nouvelle de voir que l’axe 3 du PND (Plan National de Développement, ndlr) se positionne sur les questions sociales et envisage de faire des investissements qui réduisent les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres.
« En 2 ans de mise en œuvre, le PUDC a fait énormément de progrès et de réalisations. Ces réalisations, touchent beaucoup plus les populations les plus isolées et les plus pauvres. »
T.F : Concrètement, quelles sont les actions à mettre en œuvre aujourd’hui selon vous, pour inverser cette tendance en vue de réduire ces inégalités au Togo ?
D.M : Pour pouvoir transformer durablement un secteur, il faut que ce soit une ambition portée au plus haut niveau. Et comme je le disais, l’adoption du PND est une bonne illustration, non seulement de la nécessité, mais aussi de la réalité de l’engagement du Togo, à aller vers des investissements qui transforment structurellement l’économie et qui remettent l’homme, l’être humain, au centre de son développement.
Ceci dit, quand nous prenons les 3 grands axes du PND, le constat est qu’il y a une bonne articulation entre l’économique, l’environnemental et le social. Pour véritablement réduire les inégalités, il faut qu’effectivement les fruits de la croissance qui seront tirés de la mise en œuvre des axes 1 et 2, soient mieux redistribués notamment à travers la création massive d’emploi pour les Togolaises et les Togolais. Parce que si les jeunes, les femmes, et les ménages n’ont pas d’emploi, la croissance économique n’aura pas d’impact sur leurs foyers.
T.F : Quel regard portez-vous sur le Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC) initié par le gouvernement togolais et soutenu par votre institution ?
D.M : Le PUDC a été initié par le gouvernement en 2016. C’est un programme très ambitieux, essentiellement focalisé sur la réduction des inégalités, parce que le programme vise à investir directement dans les services de base dans les communautés les plus pauvres et les plus vulnérables. En 2 ans de mise en œuvre, le PUDC a fait énormément de progrès et de réalisations. Ces réalisations, touchent beaucoup plus les populations les plus isolées et les plus pauvres. Il y a la réhabilitation des pistes rurales, qui créent le lien entre les zones de production agricole et les marchés. Il y a la construction d’infrastructures scolaires et de santé, et également des infrastructures d’accès à l’eau potable.
Si vous voyez bien, ce sont essentiellement des services qui touchent directement les plus pauvres et qui permettent donc de répondre à l’impératif de réduction des inégalités dont nous venons juste de parler.
T.F : Malgré tous ces progrès, il y a toujours des populations qui s’enfoncent de jour en jour dans l’extrême pauvreté. Le Pnud a-t-il des initiatives spécifiques pour aider ces populations à sortir de la précarité ?
D.M : Le Pnud accompagne le gouvernement à fournir les services et à formuler les réponses adaptées aux problèmes de développement auxquels le pays est confronté. Le Pnud, et d’ailleurs aucune institution internationale, n’a les moyens de répondre tout seul à la taille des besoins d’un pays. Et c’est pour cela que les gouvernements sont les acteurs de premier plan.
Le Pnud en partenariat avec l’Union Européenne a appuyé, par exemple l’élaboration du PND parce que le Pnud pense profondément qu’en affichant des ambitions très claires, le gouvernement est en mesure de tracer la voie, non seulement pour des institutions nationales mais également pour les institutions internationales qui accompagnent les politiques publiques.
En soutenant par exemple la mise en œuvre du PUDC, le Pnud accompagne le gouvernement dans la fourniture des services de base aux populations les plus pauvres. Et aider dans plusieurs autres secteurs, notamment l’amélioration de la gouvernance ou de la performance de l’administration publique, c’est aussi permettre que les processus de travail au niveau de l’administration soient plus efficients et de meilleure qualité. Et on a besoin de services de qualité si on veut faire des progrès, si on veut atteindre les plus pauvres, et les personnes les plus éloignées, telles que l’agenda du développement durable nous le conseille.
T.F : En parlant d’agenda du développement durable, comment le Pnud accompagne-t-il concrètement le Togo dans la réalisation des ODD ?
D.M : Le Togo s’est positionné déjà depuis 5 ans comme étant un pays pilote pour expérimenter la nouvelle approche en matière de planification des actions de développement. Le Togo est le seul pays qui a participé trois fois, de façon consécutive, au forum politique de haut niveau sur le développement durable à New York. Je voudrais par ailleurs féliciter les autorités togolaises pour cet engagement.
En acceptant d’aller présenter chaque année son rapport, le Togo prend le risque de s’exposer, de se faire critiquer et évaluer. Et un pays qui accepte ces risques est donc ouvert à un accompagnement et aux opportunités qui peuvent se présenter aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
« Le Togo est le seul pays qui a participé trois fois, de façon consécutive, au forum politique de haut niveau sur le développement durable à New York. Je voudrais par ailleurs féliciter les autorités togolaises pour cet engagement.»
Sur la question des ODD, nous avons aussi, cette année, bousculé nos habitudes pour initier, ensemble avec le ministère du développement à la base, un concours d’innovation qui apportent des solutions aux populations. C’est le concours J’NOV pour les ODD. Ce concours cible essentiellement les jeunes de 16 à 35 ans. L’idée, c’est de pouvoir stimuler la réflexion chez les jeunes qui constituent plus de 60% de la population et qui sont aussi des acteurs de développement.
Le jeune Togolais aspire essentiellement à avoir une bonne formation et un bon emploi. Nous pensons qu’il y a énormément de potentialités au sein de la population jeune. Nous voulons susciter un processus qui permet à ces jeunes d’éclore, et de pouvoir sortir de la profondeur de leurs cerveaux, les initiatives les plus innovantes, qui peuvent leur permettre de contribuer au développement de leur pays.
C’est pour cela que pour la première fois, le Pnud a dit : « Nous n’allons pas financer les organisations. Nous allons financer les individus et les groupes d’individus qui ont des solutions de développement et avec qui nous n’avons pas l’habitude de travailler ».
Pour répondre à la problématique des inégalités, nous avons décidé que 50% des prix aillent aux jeunes filles. Parce que quand vous comparez l’indice de développement humain du Togo et qu’on met en facteur les aspects liés au genre, on constate que les femmes ont 82,2% de l’équivalent de l’IDH des hommes. Ce qui montre que les inégalités entre hommes et femmes sont grandes. Celles entre riches et pauvres également. Il faut saisir toutes les opportunités qui permettent de réduire ces inégalités en s’attaquant aux causes.
Un autre type d’appui que nous apportons au gouvernement est l’intégration des ODD dans les politiques publiques. Le PND est un document qui est extrêmement fort en matière d’intégration des ODD. Il y a un travail qui a été fait par le gouvernement en collaboration avec les partenaires pour s’assurer que les cibles et les objectifs du PND soient alignés sur les ODD et sur les engagements que le pays a pris.
T.F : Comment le Pnud compte-t-il accompagner le Togo dans la réalisation de son PND ?
D.M : Le Pnud est en train de travailler en ce moment sur un nouveau document de programme. On aborde un nouveau cycle à partir de Janvier 2019 et dans ce document, le Pnud envisage de travailler sur 3 secteurs essentiels : le secteur de la gouvernance qui est important pour la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques, le secteur de la croissance inclusive et de l’emploi, qui est essentiel pour la réduction de la pauvreté, et le secteur de l’environnement, qui est lié à la promotion de toutes les habitudes durables. Nous pensons qu’il y a des opportunités que nous pouvons saisir, ensemble, avec d’autres partenaires, pour avancer sur les chantiers du développement durable tel que le préconise l’agenda 2030 adopté par les Etats membres des Nations Unies en 2015.
T.F : Votre institution a soutenu la réalisation du rapport sur l’Aide Publique au Développement (APD). Dans ce rapport, il ressort que l’APD est nettement inférieure aux transferts de fonds. Quel regard jetez-vous sur cette conclusion ?
D.M : C’est une tendance globale. Ce n’est pas seulement au Togo. Il faudrait noter que l’objectif en soi n’est pas l’APD. L’objectif, c’est de favoriser les conditions pour la création de richesses et de revenus. Ce qui est à faire plutôt est de voir comment on peut canaliser ces entrées de fonds, de sorte à fertiliser l’économique, le social et l’environnemental. C’est cela le grand défi.
Dans ce cadre justement, le Pnud travaille avec le Ministère des affaires étrangères pour voir comment on peut mieux attirer la diaspora togolaise en termes de compétences, d’investissements et de contribution directe au développement national.
C’est essentiel, car que les Togolais soient ici ou ailleurs, ils restent Togolais et ont envie de contribuer au développement de leur pays. Il faut bien trouver les mécanismes appropriés pour que cette contribution soit un facteur de développement humain.
Interview réalisée par Fiacre E. Kakpo et Octave A. Bruce