(Togo First) - Rencontré lors des BRVM Awards, qui se sont déroulés les 10 et 11 mai 2023 à Lomé, Togo, Ismaël Cissé, le directeur général de Sirius Capital, a confié à Togo First, ses ambitions pour le marché togolais. Sirius Capital, est une Société de Gestion et d'Intermédiation (SGI) ayant son siège social en Côte d'Ivoire, qui continue de se frayer son chemin dans le paysage financier ouest-africain. Ismaël Cissé voit en le Togo, une terre propice à l'expansion de ses activités, surtout dans un contexte de réformes économiques et sociales majeures menées par le gouvernement togolais pour attirer davantage d'investissements et stimuler le secteur privé.
Togo First : Comment présentez-vous Sirius Capital ?
Ismaël Cissé (IC) : Sirius Capital se positionne principalement en tant que banque d'affaires dont l'objectif est de mobiliser des capitaux pour favoriser le développement de la région. Dans cette optique, notre priorité est d'offrir une large gamme de solutions de financement, y compris des options innovantes pour combler les déficits de financement.
Afin d'atteindre cet objectif, nous avons obtenu des agréments spécifiques. Nous sommes agréés en tant que Société de Gestion et d'Intermédiation (SGI), ce qui nous permet de capter les flux provenant des marchés financiers afin de financer les acteurs de la région. De plus, nous détenons un agrément d'intermédiaire en opération de banque de la BCEAO. Par ailleurs, nous proposons des services de microfinance.
En résumé, notre objectif est de proposer une gamme complète d'options de financement afin de remplir notre mission, qui consiste à mobiliser des financements pour le développement de la région. Pour vous donner une idée de l'ampleur, nous mobilisons chaque année entre 400 et 500 milliards FCFA de capitaux, que ce soit sur le marché financier, en dehors de celui-ci, ou dans les secteurs public et privé.
Togo First : Quels sont vos projets actuellement au Togo ?
IC : En réalité, ce qui est intéressant au Togo, c'est la volonté politique affirmée de transformer l'économie et de la diriger vers une orientation axée sur les exportations et l'industrialisation. Le pays dispose de zones franches et de plateformes visant à attirer les investissements. Selon les estimations, les investissements directs étrangers devraient augmenter considérablement au Togo dans les années à venir.
En tant qu'intermédiaire financier, notre rôle est de guider ces investissements de manière à ce qu'ils contribuent réellement au développement. Nous cherchons donc à financer l'industrialisation et la transformation de nos produits agricoles. Le Togo est bien positionné pour devenir un acteur important dans la transformation agricole, les exportations et l'industrialisation.
Togo First : En quoi consisteront donc vos interventions ?
IC : Notre travail consiste à mettre en relation les gouvernements, les acteurs locaux et les investisseurs étrangers intéressés par le Togo. Cependant, notre approche diffère légèrement de celle des autres. Plutôt que d'attendre que les projets soient déjà structurés pour rechercher du financement, nous intervenons dès les premières étapes de co-construction. Nous aidons à structurer les projets afin d'avoir un impact concret sur le terrain, en visant des objectifs précis de transformation industrielle, par exemple.
En tant qu'intermédiaire, nous intervenons très tôt dans le processus de développement pour orienter les projets. Sirius Capital a un solide réseau international et nous nous spécialisons dans les financements innovants, tels que la finance islamique, qui n'est pas très répandue dans la région, mais qui dispose de capitaux importants pour financer des projets. Nous nous intéressons également à la finance d'impact, où les fonds de ce type recherchent des projets dans lesquels investir. Cependant, peu de projets sont actuellement structurés de manière à attirer ces fonds.
Ce boom d'ambition peut parfois rencontrer des obstacles, notamment en raison de la complexité des processus gouvernementaux. C'est pourquoi une présence privée, forte et enracinée est nécessaire pour accompagner ces efforts.
Togo First : Selon vous, quelles mesures ou réformes publiques devraient être prises pour attirer le secteur privé et les investissements vers les projets dont vous avez parlé ?
IC : Trop souvent, nous constatons que l'État remplit à la fois le rôle de créateur du cadre réglementaire et celui de promoteur des grands projets. Je pense qu'il devrait y avoir davantage de collaboration entre le secteur privé et le gouvernement, où le secteur privé prendrait en charge des projets déjà structurés, tandis que le gouvernement se concentrerait sur la création du cadre nécessaire pour favoriser la réussite de ces projets.
Un autre schéma est : au lieu d'avoir un gouvernement qui endosse le rôle de promoteur de projets tout en créant le cadre réglementaire et en régulant le marché, il serait préférable que le secteur privé soit chargé de concevoir ces projets. Le secteur privé est souvent plus flexible et capable d'innover plus rapidement qu'un gouvernement.
En favorisant une plus grande participation du secteur privé, nous pourrions donc bénéficier de son expertise, de sa créativité et de sa capacité à prendre des risques. Cela permettrait également de réduire la charge de travail des gouvernements et de favoriser une collaboration plus efficace entre le public et le privé pour stimuler le développement économique et l'innovation.
Togo First : Dans votre rôle spécifique d’intermédiaire, il est certain que vous faites face à divers obstacles et défis qui bloquent vos activités de mobilisateur de financement. Même avec un intérêt manifeste du secteur privé, quels sont les problèmes et défis auxquels vous êtes confronté qui nécessitent l'intervention des autorités publiques ?
IC : En réalité, l'un des principaux obstacles que nous rencontrons est la prédominance du secteur informel dans le secteur privé. Malheureusement, de nombreux projets ambitieux sont freinés par le manque d'entreprises structurées et capables de prendre en charge ces projets.
Pour surmonter cette problématique, il est essentiel que le gouvernement mette en place un cadre fiscal incitatif qui encourage le secteur privé à sortir de l'informel et à se structurer. Actuellement, de nombreuses entreprises hésitent à se conformer aux réglementations formelles en raison des conséquences fiscales potentiellement lourdes. Cela crée un cercle vicieux où la présence dans le secteur informel limite la mobilisation des ressources nécessaires pour soutenir le secteur privé.
Lorsqu'une entreprise déclare seulement 10% de ses revenus, par exemple, il devient difficile d'envisager avec elle la réalisation d'un projet de grande envergure de 100 milliards. De plus, la charge fiscale souvent élevée ne favorise pas l'émergence du secteur privé de l'informel.
Il est donc essentiel de mettre en place des mesures incitatives fiscales, de créer un environnement réglementaire favorable et de promouvoir un climat des affaires propice. Je suis conscient que le gouvernement togolais a entrepris de nombreuses réformes récemment pour améliorer cette situation.
Togo First : Quel est votre regard sur l'efficacité de ces réformes en termes de stimulation de l'investissement ?
IC : Ces avancées vont dans la bonne direction. Comme je l'ai mentionné précédemment, nous avons choisi d'être présents ici parce que nous constatons que le Togo est en train d'évoluer en termes de mesures réglementaires et de création de cadres favorables.
C'est encourageant pour nous de nous positionner ici, car nous pensons qu'il y aura l'émergence de champions nationaux dans ce contexte propice. Le Togo offre un environnement favorable qui pourrait attirer des entreprises régionales à s'y établir.
Par exemple, la récente réforme dans le secteur immobilier est un développement positif. Ce genre de réforme contribue à créer un environnement propice à l'investissement et peut stimuler le développement du secteur.
Nous sommes optimistes quant à l'avenir du Togo et nous sommes impatients de participer à cette dynamique en apportant notre expertise et notre soutien financier pour accompagner la croissance économique du pays.
Togo First : Quels sont les domaines spécifiques dans lesquels vous avez identifié des projets sur lesquels vous travaillez ?
IC : Les principales spéculations agricoles dans la région sont axées sur l'anacarde, l'huile de palme et d'autres produits agricoles. Il est donc essentiel de se positionner dans le domaine de la transformation et de l'agro-industrie pour valoriser ces produits.
Togo First : Il est intéressant de noter que vous envisagez de lancer votre propre bourse en ligne, et d'autres institutions prévoient également de se lancer dans ce domaine. Nous sommes conscients que la digitalisation transcende les frontières. Comment comptez-vous vous y prendre au Togo ?
IC : Au Togo, il existe déjà des structures qui mobilisent l'épargne publique et l'épargne des ménages, mais leur impact est principalement limité aux institutions financières. En conséquence, il y a de l'épargne disponible, mais elle n'est pas suffisamment mobilisée pour stimuler le développement économique, de manière optimale.
Il est donc important de mettre en place des mécanismes et des incitations pour encourager la mobilisation de cette épargne et la diriger vers des investissements productifs. Cela pourrait impliquer des initiatives telles que des programmes d'éducation financière, des mesures incitatives fiscales, ou encore des plateformes d'investissement en ligne pour faciliter l'accès aux opportunités d'investissement et encourager la participation des individus et des ménages dans le développement économique de la région.
Togo First : Justement, malgré l'existence de ces institutions agréées, les cas d’arnaque fleurissent, avec des croissances rapides. On est tenté de dire que les sociétés d’intermédiaires sont dans leur bulle, abandonnant leur territoire aux arnaqueurs dont le discours convainc très vite les ménages. Malgré le développement des activités de bourses en ligne, les SGI peinent à créer la proximité avec le grand public. Qu’est-ce qui explique cela ?
IC : Il y a un problème de positionnement. En effet, je mentionnais précédemment une mobilisation de 400 à 500 milliards chaque année par Sirius Capital, mais malheureusement, 95 à 98 % de ces sommes proviennent d’investisseurs institutionnels.
Cela n'est pas viable à long terme. Il n'est pas possible de financer tous les développements de notre région sans prendre en compte l'épargne publique. L'épargne publique existe, car dès qu'une nouvelle arnaque ou une nouvelle escroquerie apparaît, des dizaines de milliards sont investis. C'est nous qui sommes fautifs.
En d'autres termes, le secteur financier n'a pas réussi à proposer de véritables alternatives d'investissement, simples et compréhensibles pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde, afin de capter cette épargne.
Tant que nous n'y parviendrons pas, le grand public continuera d'être victime de toutes les nouvelles escroqueries en matière d'investissement. C’est un des objectifs de notre application, d’avoir une approche pédagogique et inclusive auprès du grand public pour donner les outils au grand public de s’approprier ces activités tout en sachant éviter les arnaques. Notre application est un espace de confiance et de proximité qui permettra à n’importe qui d’investir sereinement. Un autre objectif de cette application est d'englober toute la sous-région, car je pense que les opportunités sur le marché financier sont insuffisantes. C'est l'un des problèmes, car nos économies ne disposent pas d'un nombre suffisant de sociétés cotées ou de produits financiers. Nous ne pouvons donc pas nous contenter de penser au niveau national, nous sommes obligés de penser au niveau de la sous-région, notamment lorsque nous avons une bourse sous-régionale.
Togo First : C’est dans cette optique que vous développez une application mobile, car comme on le dit, le digital brouille les frontières. A quoi va-t-elle servir ?
IC : Effectivement, nous comptons lancer bientôt notre propre application de bourse en ligne pour ratisser large, avec en ligne de mire la possibilité de toucher rapidement les populations de tous les pays de la sous-région.
Le but de cette application est de proposer de manière transparente et intuitive des opportunités d'investissement, utilisant par exemple des comptes Orange Money et d'autres moyens de paiement. Elle permettra d'accéder aux informations nécessaires pour évaluer ces opportunités, car la prise de décision d'investissement nécessite des informations commerciales appropriées. Par exemple, en fonction du profil d'investissement défini, des objectifs peuvent être établis et des recommandations appropriées seront reçues.
Lorsqu'une opportunité d'investissement correspond aux recommandations, une notification sera envoyée, et l'investissement peut être effectué en quelques clics. Tout est conçu pour être transparent, et si des fonds doivent être récupérés, tout sera bien documenté et gérable numériquement.
Pour conclure, l'ambition de cette application est de rendre les opportunités d'investissement accessibles de manière transparente et intuitive, en utilisant un compte Mobile Money ou d'autres moyens de paiement, afin de faciliter la prise de décisions éclairées et l'investissement en fonction des objectifs définis.
Interview réalisée par Fiacre E. Kakpo