(Togo First) - Le togolais Jimi Hope a rendu l’âme en France. Celui qui se considérait comme l’artiste le plus complet de sa génération a succombé à une courte maladie, mais aussi à la mélancolie quotidienne créée par la perte de son enfant. « Docteur Blues », l’homme qui peignait à la lame de rasoir, part sur une ballade rock d’une tristesse qui ne fera pas oublier tout l’art qui émanait de celui qui aimait se surnommer « The Best ».
Le plus grand rockeur d’Afrique contemporaine ne chantera plus l’espoir. La nouvelle est tombée aux aurores, le lundi 5 aout. Jimi Hope, l’artiste togolais qui enchantait les mélomanes du continent par ses mélodies et ses riffs de guitare endiablés a rendu l’âme. Celui que beaucoup considèrent comme le premier rockeur africain, emporte avec lui certaines des années les plus folles de l’art africain. Car plus que sa guitare, sa voix, sa lame de rasoir ou ses sculptures, c’est tout l’être du Togolais qui irradiait cet art, dont il souhaitait se servir pour sauver l’Afrique.
« Hope est mon nom, l’espoir est permis »
Définir un artiste aussi particulier que Jimi Hope, c’est un peu accepter le fait que personne ne pouvait saisir pleinement l’essence de cet homme. Alors, comme tout le monde on en revient à l’une de ses musiques favorites, celle qui, si elle ne véhicule ni son désir de liberté, ni son énergie aussi bien que le rock, permet finalement de comprendre l’un des principaux traits de caractères du Togolais.
« Le blues, comme le cacao, est parti de l'Afrique.»
Jimi Hope était profondément africain. Pour lui, le blues était l’un des principaux moyens d’affirmer son appartenance au continent tout en revendiquant son identité, son histoire. « Le blues, comme le cacao, est parti de l'Afrique, puis a traversé l'océan avant de revenir sous forme de chocolat. Mais la base du blues, c'est l'Afrique », explique-t-il durant une interview.
La base de Jimi Hope était également l’Afrique, très présente dans chacune de ses expressions artistiques. Loin des sentiers battus et des codes, l’artiste togolais a toujours manifesté un profond désir de libérer l’Afrique et sa jeunesse. Peut-être que le blues signifiait pour lui, le bleu de chauffe, la tenue de travail qui lui permettrait de libérer, à sa façon, le continent. Ce style musical très mélancolique a une histoire également teintée d’espoirs ; de retour pour ses créateurs, mais d’émancipation surtout, pour Jimi Hope.
L’artiste, convaincu de sa fabuleuse prédestination, a toujours vu en lui-même un moyen de promouvoir son pays et par ricochet de développer le continent.
« L’espoir est permis.»
« On vend le Christ plus que la bière dans mon pays ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mais l’espoir est permis. Hope est mon nom, et j’ai foi en l’avenir de mon pays », clame-t-il fièrement durant une interview. Jimi Hope n’est pas comme les autres et son histoire, comme lui, n’a rien de commun.
Le fabuleux parcours d’un esthète précoce
Jimi Hope, à l’état civil Senaya Koffi, est né le 12 octobre 1956 à Lomé. Étonnamment, durant ses premières années où l’art est déjà présent, c’est le dessin qui occupe les journées du jeune Togolais. A 6 ans, il dessine et réalise déjà quelques tentatives de peinture. A 8 ans, c’est plutôt la culture qui va occuper les journées oisives du jeune artiste. Il fabrique de petites statues d’ébène qu’il vend à la sauvette. Dans une interview, il révèlera plus tard que ces premières sculptures ont aidé à financer sa carrière de chanteur. La musique, justement, ne commence à occuper son esprit qu’à l’âge de 10 ans. C’est dans cette période qu’il découvre les disques de Jimi Hendrix et de John Lee Hooker. Ce mélange de rock et de blues définira ses bases musicales.
Il commence à pousser la chansonnette au collège, avant de se faire connaître, dès l’âge de 13 ans, dans le groupe qu’il dirige : Acid Rock. Malgré le succès du groupe, il choisit de poursuivre une carrière solo entre les années 70 et 90. A cette époque, les Togolais découvrent une musique à laquelle ils sont peu exposés : le rock. L’énergie de Jimi Hope ne tarde pas à conquérir les foules. Malgré, le boycott de son style musical par la télévision, il continue de séduire les mélomanes du continent et même du monde entier. En 2007, aux Etats-Unis, il recevra la distinction de meilleur rockeur africain. Loin de calmer ses ardeurs, la récompense déclenche une véritable fièvre créatrice musicale chez l’artiste.
« Mon feeling est énorme, il vient des tripes. »
Aujourd’hui, il affiche 12 albums et une multitude de concerts dans le monde. Il a rencontré et collaboré avec de grands noms comme Nina Simone et Jean Jacques Goldman. « Je suis né artiste et être né artiste c’est comme une maladie. J’ai écrit pendant toute ma vie près de 3000 chansons et je n’en ai même pas chanté 500. J’ai beaucoup de chansons dans mes tiroirs », confie-t-il dans une interview.
Concernant sa musique, son verdict est clair. « Je fais partie des plus belles et des plus grandes voix du monde parce que quand on m’écoute on ne peut pas m’interpréter comme on interprète tout le monde. Mon feeling est énorme, il vient des tripes. Pour chanter du Jimi Hope, il faut avoir des couilles. Ce que je fais, il faut l’aimer pour le faire ». Effectivement, l’artiste déborde de créativité. Et à un moment, la chanson ne suffit plus pour l’exprimer entièrement.
Les regrets de la fine lame de l’art africain
En dehors de ses nombreuses chansons, Jimi Hope laisse également des centaines de tableaux et de fresques qu’il rêvait d’exposer dans la rue. En effet, de retour au Togo à une époque où beaucoup l’imaginent au crépuscule de sa carrière artistique, Jimi Hope délaisse sa guitare, mais retourne à la peinture, un premier amour. Il développe une technique de peinture particulière utilisant des lames de rasoirs.
« Ce que je fais, il faut l’aimer pour le faire.»
Le succès de ses toiles est immédiat. Il offre ses fresques pour décorer certaines places publiques de Lomé. Il rêve d’une rue plus colorée. D’ailleurs, tout son art, il assume le destiner à la rue et refuse d’exposer ses œuvres dans de grandes galeries. Il préfère les exposer dans la rue. « Jimi Hope a le profond désir de contribuer à la diffusion de l'art dans la rue. Il rêve de concerts populaires et de foules enthousiastes », confie son ami Charles Debbash. Finalement, après une cinquantaine d’années de carrière, l’artiste décède des suites d’une courte maladie. Mais pour certains de ses proches, le premier rockeur africain était déjà un peu mort lorsque son fils ainé est décédé, le 19 juillet 2016, dans un accident de circulation à Lille. Environ 3 ans plus tard, l’artiste togolais l’a rejoint dans l’au-delà.
Servan Ahougnon, pour Ecofin Hebdo.