(Togo First) - Indicateur sur lequel le Togo doit encore beaucoup travailler selon le dernier Doing Business, le transfert de propriété prend une part importante dans les réformes entreprises par le gouvernement togolais depuis le début de cette année : réduction du délai, réduction des droits d’enregistrements et création d’un bureau dédié, Lomé semble donner la part belle au foncier. Des mesures que la Bad salue dans ses dernières perspectives sur les économies africaines. Et c’est prometteur. La banque panafricaine estime que le seul transfert de propriété pourrait impulser un bond à deux chiffres à l’investissement privé sur les deux prochaines années.
Ces prédictions ont reçu la semaine dernière la bénédiction du Millenium Challenge corporation (MCC) avec l’approbation du programme de seuil assorti d’une enveloppe financier de 35 millions $ pour accompagner ce secteur sensible de l’économie togolaise.
Si la Bad projette 10% de croissance de l’investissement par an, à la Direction des affaires domaniales et cadastrales, on veut faire mieux. Dans une interview que M. Abby Toyi, directeur de cette institution rattachée à l’Office togolais des recettes(OTR), a donnée à Togo First, le dirigeant passe en revue tout le foncier togolais. Une sorte de bilan – défis – perspectives, avec une petite dose de mise au point que nous offrons dans ce premier numéro de « la personnalité de la semaine ».
Togo First : Dans son rapport sur les perspectives économiques en Afrique 2016, la Banque africaine de développement révèle que le système foncier du Togo est le plus lent d’Afrique. Quelles sont les mesures prises depuis cette date pour améliorer cette situation ?
Abby Toyi (AT) : La vérité, c’est qu’en 2016, nous sommes à 21 jours. C’était notre moyenne annuelle. On ne peut pas nous dire que c’est le plus lent ! C’est d’ailleurs l’un des records devant d’autres pays qui ont 90 jours. Nous, nous en avons 21. Je reconnais que la procédure de notre régime qui est particulier pour les premières créations, c’est-à-dire les immatriculations, peut prendre jusqu’à 283 jours. Mais le critère retenu par Doing Business concerne le transfert, non les premières créations. Et la moyenne au titre du mois de janvier 2018 pour les transferts de propriété est de 9 jours. Peut-être que pour les autres mois de l’année, cela pourrait flotter un peu en raison de la teneur de certains dossiers. Cela pourrait aller à 15 jours. Et il est vrai qu’entre temps, ça avait flotté du fait de nos déménagements.
Togo First : Concrètement, quelles sont les mesures qui ont permis d’améliorer ce délai ?
AT : Nous avons connu un problème de personnel. Maintenant, la DADC a assez de personnel. Nous avions également des problèmes de matériels techniques pour aller faire les bornages. Mais depuis, il y a eu renforcement du personnel et nous avons acquis du matériel topographique pour faire rapidement les bornages ; nous avons commencé à informatiser suffisamment les traitements ; nous avons fini le scannage pratiquement à 97 %, pour aller vite quand il s’agit de se renseigner sur les titres fonciers. Sans informatisation, c’est difficile. Cette politique a été accompagnée par les autorités qui ont compris qu’il nous fallait des moyens. Aujourd’hui, nous avons créé un bureau uniquement dédié au transfert de propriété.
Donc si vous venez, les minutes qui suivent, on vérifie votre dossier et dès le soir on vous signe. Comme le scannage est en train de finir, nous allons aboutir bientôt à la création de titres fonciers numérisés avec signature électronique. Le système va très loin et vous verrez la révolution qui se fera. L’effort est manifeste, c’est d’ailleurs pour cela que nous avons été rattachés à l’OTR, pour aller encore plus loin.
Dans tous les cas, notre objectif pour 2018, c’est d’arriver à 15 jours pour le transfert de propriété. Nous promettons d’être les champions, comptez sur nous. En 2020, nous serons justes derrière le Rwanda qui est le premier en Afrique.
Togo First : Dans l’édition 2018 du même rapport, la BAD estime que l’accélération des transferts de propriété pourrait booster l’investissement privé. Quelle est votre appréciation face à cette projection ?
AT : C’est une bonne projection. Je trouve que cela portera l’investissement privé encore plus loin. Vous voyez, on encourage les entreprises à aller dans ce sens. Sous l’impulsion du chef de l’Etat, la loi de finances a été taillée pour ramener la création d’entreprises à un prix forfaitaire, 0 % de frais, pratiquement. Le Chef de l’Etat a également décidé de réserver 20 % des marchés publics aux jeunes et femmes. Et chacun sait que c’est avec les titres fonciers que les bailleurs de fonds et les investisseurs, ont plus confiance dans l’immobilier. Je crois que ça ne fera que booster les investissements. Je pense même qu’avec les réformes qui sont engagées, l’investissement privé pourrait croitre annuellement, deux fois plus rapidement que ce que prévoit ce rapport de la BAD. 20 % de croissance des investissements du secteur privé, portés par les transferts de propriété, ne nous étonnera pas. Avec notre vitesse actuelle, dans deux ou, au plus tard, trois ans, nous allons devenir la référence.
Togo First : Face à la spéculation et aux accaparements des terres agraires, les Etats s’organisent. La Côte d’Ivoire a vite fait de garantir à ses nationaux l’exclusivité de la propriété des terres agricoles. Le Togo envisage-t-il une réforme constitutionnelle dans ce sens ?
AT : Le Togo a été le premier Etat à protéger les biens immobiliers et le droit de propriété de ses citoyens. Aujourd’hui, ce sont les autres qui s’inspirent de notre expérience. Nous avons accédé à notre indépendance nationale le 27 avril 1960 et le 05 août 1960, une loi a été votée pour protéger les droits fonciers des citoyens togolais contre les étrangers. Je peux vous passer les textes au besoin. Voilà pourquoi on parle d’autorisation préalable. Ce qui veut dire que même si un citoyen togolais veut vendre un bien immobilier à un étranger, quand bien même c’est sa propriété, l’Etat veut s’assurer que ce n’est pas pour permettre à l’étranger de venir s’accaparer de tous les biens de ce premier. Si ce n’était pas fait ainsi, aujourd’hui on n’aurait rien. Vous connaissez l’histoire du Togo… Le Togo était bien plus vaste. Une grande partie, la Volta, c’était au Togo. Le Ghana en a pris une partie, le Bénin a pris l’autre. Le petit rectangle qu’il reste, nos autorités ont été géniales en proposant immédiatement, et dès les premiers mois de notre indépendance, la protection. Et c’est ce qui est réglementé à ce jour. Donc pour acheter, c’est le Premier ministre qui doit donner l’accord. Avant, c’était le Chef de l’Etat. C’est pour vous dire que le Togo s’est déjà doté d’un plan national protecteur fiable de tout temps. C’est maintenant que d’autres le font. Sinon, nous sommes les premiers.
Togo First : Quel est aujourd’hui l’état de vos relations avec les notaires à l’heure des réformes qui semblent réduire leurs marges de manœuvre ?
AT : Nous travaillons bien, surtout avec le bureau sortant. Il y a eu renouvellement de ce bureau. Nous avons travaillé en bonne intelligence avec les notaires. Chaque fois qu’il se pose un problème, on a un cadre de concertation où on se retrouve. Ils nous invitent à leurs universités notariales, et tous les problèmes qui sont soulevés, nous tendons, nous cherchons à les régler. Au début, ce n’était pas le cas et on se jetait l’anathème. Après, ce cadre a permis de nous comprendre sur certains aspects. Je profite pour les remercier ; surtout le bureau précédent pour avoir fait le lobbying. Ce sont eux qui nous ont aidés. Avant, on pensait que c’était la DADC qui ne travaillait pas. Ils sont venus et ils ont constaté qu’on manquait plutôt de moyens. Nous avons eu beaucoup de séances de travail et la confiance est parfaite. Certes, certains continuent de se plaindre. On a demandé qu’ils étayent leurs plaintes.
Je voudrais vous donner cette information : nous avons demandé par courrier au président de l’ordre de la Chambre des Notaires de nous envoyer la liste des dossiers que les notaires estiment avoir envoyés et qui sont l’objet de retards. La liste a été adressée ; c’est ce que je viens de transmettre. J’ai fait mes observations et on a envoyé. Nous leur avons explicitement dit : si vous estimez qu’il y a des dossiers qui trainent, envoyez-les. C’est vrai que certains problèmes surviennent. Imaginez, pour le transfert du droit de propriété d’un immeuble, que nous constations dans nos livres fonciers que ce n’est pas le propriétaire qui vend l’immeuble. Le nom du propriétaire est encore dans nos livres fonciers et c’est quelqu’un d’autre qui est le vendeur. Quelqu’un d’autre, fût-il son fils ; même si la personne est décédée, il faut purger la succession. Un seul ne peut pas se lever, sans l’avis des autres et vendre. Même pour vendre, ils doivent muter en leur nom. Tu ne vends que ce qui t’appartient. C’est souvent le couac avec nos amis [NDLR : Les notaires]. Tu ne peux pas vendre ce qui ne t’appartient pas. Ce sont ces types de dossiers qui trainent et on pense que c’est la DADC qui ne fait pas son travail. Beaucoup ont compris aujourd’hui. Ils font tout maintenant au préalable avant de nous envoyer les dossiers. Autrefois, c’était la pomme de la discorde, mais, à force de discuter, de se parler, on s’est compris. En dehors de ça, nous sommes en bonne intelligence. Puisque le cadre est là, s’il y a des problèmes, on se retrouve. Si c’est la DADC qui rencontre les problèmes, on les appelle. Si ce sont eux, ils nous appellent, on échange et on transcende nos difficultés.
Togo First : Quelles sont les difficultés auxquelles fait face le foncier rural togolais ?
AT : Le foncier rural fait face à de sérieux problèmes. Le premier problème, c’est qu’il n’est pas délimité ; il n’est pas cadastré. C’est le grand problème. Si c’était cadastré, chaque collectivité, chaque individu connaîtrait ses limites. Premier problème. Même les propriétaires n’ont pas tous une idée claire de la superficie de leurs parcelles. C’est cela même, le problème. Si vous ne connaissez pas la superficie de vos parcelles, les limitrophes peuvent y entrer, à tort ou à raison. Alors que s’il y avait le cadastrage, chacun connaîtrait ses limites et sa superficie. Une histoire qu’on nous racontée s’est passée non loin de Tsévié. Un sieur a débarqué chez un paysan en disant qu’il voulait s’offrir des parcelles ; le paysan ne connaissant pas ses limites les lui en vendait dès qu’il était dans le besoin. Mais un jour, cet acheteur est venu délimiter tout le village, car on le lui a vendu. Vous voyez ? Il y a aussi l’ignorance. Aussi, les gens ne se renseignent-ils pas. Aujourd’hui surtout, les domaines ruraux, les terrains ruraux qui sont autour des agglomérations sont convoités. Chacun veut les avoir par anticipation parce que, chez nous, les transactions sont libérales. Chacun vend ce qu’il a ou en fait ce qu’il veut. Donc ce sont ceux qui ont les moyens qui viennent acheter à vil prix, et font après la surenchère. Ils achètent beaucoup et les paysans sont obligés de céder très souvent. Dans presque toutes les agglomérations africaines, ce sont ces difficultés qu’on rencontre. On peut valoriser, ces terres-là ; les délimiter, pour permettre aux bailleurs, aux jeunes qui veulent les exploiter de le faire.
Le 2e plus grand problème, c’est qu’il y a dichotomie entre les deux droits : le droit moderne et le droit coutumier. Sur les litiges, il y a des décisions qui ne sont pas toujours les mêmes ; ça aussi pose un sérieux problème.
Troisième problème majeur, c’est qu’on ne fait pas profiter aux femmes des terres rurales alors que ce sont elles qui exploitent en général lesdits terrains. Moi je pense que c’est un grand problème… Pourtant tous les textes sont là pour protéger la femme en matière d’accès à la terre. Hélas, ces textes ne sont pas connus dans les mentalités traditionnelles. Voilà ce que je peux résumer.
Togo First : Vous avez parlé des problèmes liés au cadastrage. Aujourd’hui qu’est-ce que vous faites pour résoudre ce problème ?
AT : C’est pour résoudre ce problème que le rattachement a été fait à l’OTR. Depuis 2012, nous avons conçu ce plan en plusieurs étapes. La 1re étape consistait à faire le cadastrage de 8 principales villes du Togo ; les plus grandes à savoir Lomé, Aného, Kpalimé, Tsévié, Atakpamé, Sokodé, Kara, Dapaong et environs, pour éviter ces problèmes. Depuis 2012, le document a été déposé sur le bureau de notre hiérarchie. On n’a pas pu financer le projet. La priorité est accordée à autre chose. Il suffisait ou il suffit aujourd’hui de trouver ce financement et vous verrez, on cadastre tout et le reste, on l’étend seulement jusqu’au croisement.
Notre chance aussi, c’est que nous avons trouvé un 1er partenaire qu’on appelle programme Threshold, programme de Seuil du MCC, Millenium Challenge Corporation [Ndrl : le programme a été approuvé la semaine dernière]. On a déjà ciblé 7 préfectures dans chacune des régions du Togo pour faire asseoir ce cadastrage et nous allons l’étendre après. Si on réussit cette mission, le programme Compact [NDLR : le compact est un programme du MCC, plus vaste que le Threshold] viendra couvrir le reste. Là, se trouve espoir.
Togo First : Quels sont les principaux défis qui se posent à la gestion durable du foncier au Togo dans les dix prochaines années ?
AT : Le 1er défi, c’est qu’il faut réussir le cadastrage. Aujourd’hui que le Seigneur nous a accordé une technologie de pointe, si nous réussissons, nous aurons tout réussi parce que la cartographie a été étendue jusqu’aux extrémités de la surface de notre territoire national. Mais il faut aller dans les détails pour préciser qui est propriétaire, qui ne l’est pas. Ça limiterait alors les conflits fonciers partout. Avec ça aussi, on règlera les problèmes des délais, le problème du coût aussi. Donc notre 1er défi, c’est le cadastrage.
Togo First : Quid des Systèmes d’informations géographiques (SIG) ?
AT : Le système géographique, c’est l’information qu’on a globalement sur la cartographie nationale, ce n’est pas le cadastrage. Avec le cadastrage, il faut revenir à des échelles plus importantes pour aller dans les détails. Le cadastre permet d’aller dans les détails. C’est complémentaire avec les SIG. Sans le cadastrage, on ne réussira pas très bien non plus nos projets de développement des agropoles, de développement agricole ; tout ce que nous avons à faire fait appel au cadastrage dans les détails. Tout est lié à la gestion informatisée. Nous en sommes arrivés au point que tout notre système est informatisé et interconnecté. Les services qui sont depuis Dapaong ne doivent pas attendre les résultats d’ici. Ça doit être instantané. Ils doivent même délivrer les titres fonciers sur place Voilà les défis qu’il nous reste à relever.
Propos recueillis par Fiacre E. Kakpo