(Togo First) - Si l’entrepreneuriat togolais, plus simplement le « made in Togo » reçoit des distinctions depuis quelques années et plus régulièrement depuis les six derniers mois, en Afrique et en dehors, il n’en a pas toujours été ainsi.
Certes, à force de l’évoquer, d’en parler, le terme « entrepreneuriat » en devient quasiment vulgaire. Il n’est plus un grand mystère. « Entreprendre, c’est se mettre en mouvement. Être capable de rêver un projet qui nous ressemble, qui nous fait vibrer et dans lequel on a envie de s’investir. C’est être capable de mettre en œuvre un certain nombre de choses : des actions et de l’énergie pour réaliser ce projet. Quel que soit le domaine dans lequel on a envie de se lancer : artistique, social, sociétal, humanitaire, sportif ou économique… C’est la personne qui est au cœur de l’acte d’entreprendre et c’est elle, avec ses talents, ses atouts, ses zones lumineuses et se zones d’ombre qui va donner sa couleur à l’entreprise qu’elle va développer », définit yet.brussels, le portail web de Young Entrepreneurs of Tomorrow.
D’aucuns soutiennent que l’on naît entrepreneur, que l’on ne le devient pas. En partie vrai, car aisément vérifiable aux attitudes et aptitudes que développent certains jeunes dès leur plus tendre enfance ou leur jeune âge, cette assertion est pourtant loin de faire l’unanimité et, de résister à certaines réalités vivantes, bien palpables. Le vécu et les expériences des jeunes Togolais devenus entrepreneurs, selon une « prédestination » ou forgés par les circonstances pour devenir entrepreneurs, témoignent bien et à profusion de ce qu’au-delà de dispositions innées, l’entrepreneuriat peut avoir du sens, et… du contenu. Prédisposés ou non, tous ces jeunes ont bien quelque chose en commun : leur envie de sortir de leur zone de confort et de braver l’inconnu que représentent pour eux, la prise en mains de leurs destins, leur propre peur et parfois, des pesanteurs socioculturelles.
Riches ou moins riches, diplômés ou non : une seule envie, réussir
Ils ont des profils différents, sont issus de milieux différents, sont diplômés ou non. Parfois, tout ou presque les oppose. Mais, dans leurs différences, tous autant qu’ils sont, les jeunes Togolais rêvent, rêvent grand et osent réussir. Car, dans un environnement où la réussite sociale, professionnelle d’un jeune suscite de la curiosité, réussir prend rapidement des allures d’un défi extraordinaire. Et pour le relever, parfois, spontanément ou à la suite d’un long processus de maturation de projet, ils décident d’entreprendre. Certes, certains ont des prédispositions innées à l’entrepreneuriat.
Mais sur un échantillon de dix jeunes entrepreneurs, le constat est que près de 7 jeunes Togolais s’orientent vers l’entrepreneuriat comme une deuxième chance, une bouée de sauvetage à laquelle ils s’accrochent. Vaille que vaille. Preuve que le jeune Togolais, fondamentalement, est plus orienté vers les « j’ai l’honneur de solliciter auprès de votre haute bienveillance un emploi » que vers l’option d’en créer. C’est une réalité, sans doute tributaire de son éducation, de sa formation et de tout son background dans un environnement socioculturel où un diplôme, en général universitaire, est considéré par les aînés et les parents comme une assurance-emploi et, partant, une assurance de vie épanouie. La proportion, sans être nulle, n’est pourtant pas négligeable chez ceux qui abandonnent trop tôt leurs études et se mettent à un apprentissage.
Que ce soit Ismaël Tanko, Adamas Koudou, qui décident de démystifier leurs diplômes pour poursuivre ou commencer, selon les cas, leur aventure entrepreneuriale, ou encore Agbétoglo Kwami Dodji ou Steven alias Tayé Tayé, dont le talent réside dans la manipulation et le façonnement du bois, eux tous se sont pris en charge ; à l’issue de parcours qui sont propres à chacun d’eux. Aujourd’hui, la reconnaissance officielle dont ils font l’objet ne saurait masquer les difficultés qu’ils ont dû surmonter.
Chemin tracé…mais non moins tortueux
Pour les jeunes entrepreneurs togolais, le chemin a beau être tracé, il n’est pas pour l’essentiel rectiligne. Et les expériences de tous ces jeunes, démontrent à suffisance, que le succès … est au prix de mille et un sacrifices.
Dans une entrevue accordée à Togo First, Gnebi Essohanam, spécialiste dans la conception de multiprises en bois, de marque Electro Info relate le parcours qui l’a mené à l’entrepreneuriat : « J’ai obtenu un Bac F3 au lycée après une formation de base en électronique et j’ai poursuivi après des études supérieures en informatique et réseau. A la fin de ma formation, j’ai ouvert une petite boutique dans laquelle je vendais du matériel électrique et électronique. Et j’ai pu constater que les clients achetaient souvent des multiprises en demandant à chaque fois si c’était de bonne qualité. J’ai alors fait une petite immersion sur le marché des multiprises, et j’ai pu remarquer que la quasi-totalité est importée. Je me suis donc dit qu’avec mes connaissances académiques et mes compétences acquises, je pouvais créer des multiprises Made In Togo, avec un design différent et d’autres fonctionnalités et qui répondent aux normes de ces produits importés. C’est ainsi que j’ai dressé un jour, une liste de matières que l’on trouve partout comme du bois, du plexiglas, des câbles de courant que je suis allé chercher. L’idée était de créer des produits utiles et décoratifs à la fois. Et chemin faisant, j’ai pensé à ajouter aux multiprises, des luminaires, des lampes de chevet et d’autres accessoires, toujours à partir de produits locaux. J’ai donc réalisé des croquis de quelques échantillons que j’ai soumis à des ébénistes et des spécialistes du bois, pour les sculpter. Cela a été admirablement fait et je me suis chargé d’y mettre des câbles et les ajustements répondant à des sections de sécurité conventionnelles. Ça a été le déclic. ».
Quant à Bemah Gado de Green Industry Plast Togo, il avait, depuis tout petit, à cœur les problèmes environnementaux et plus particulièrement de salubrité. Il aimait être propre et vivre dans un endroit qui l’est également. Or à son arrivée au campus, il a remarqué l’état d’insalubrité dans lequel se trouvait l’université de Lomé qu’il devait fréquenter. Il a donc décidé d’y apporter une solution, sans oublier parallèlement de mener une activité qui lui permettra de financer sa scolarité. A partir de sa deuxième année universitaire, il a monté une association avec des amis étudiants, dénommée « Science et Technologie Africaine pour un Développement Durable ». Ils ont commencé à mener des actions au sein de l’Université.
Un coup de pouce institutionnel ou providentiel
Pour nombre d’entrepreneurs, le déclic est venu de mécanismes institutionnels mis en place pour accompagner les jeunes, non seulement à découvrir leur potentiel à travers des programmes de coaching et d’accompagnement, mais aussi à trouver du financement, notamment le Fonds d’Appui aux Initiatives Economiques des Jeunes (FAIEJ) et le Programme d’Appui au Développement à la Base (PRADEB). Mais pas uniquement. Quelquefois, c’est un coup de pouce purement providentiel qui détermine et ouvre des perspectives réjouissantes au rêve entrepreneurial de ces jeunes, confrontés pour la plupart, aux soucis de financement, en termes de recherche de fonds d’amorçage.
« Un jour, un acteur de développement local passait et il nous a vus à l’œuvre. Il nous a interpellés et questionnés sur notre activité. A la question de savoir ce que nous faisions des déchets que nous amassions, nous avions répondu que nous nous contentions de les stocker quelque part, loin des regards. Il nous a dit que nous pouvions en faire un business ou une activité génératrice de revenus ». Début de cristallisation du rêve, renforcé, dans le cas du jeune Bemah Gado, par l’intervention du Fonds d’Appui aux Initiatives Economiques des Jeunes (Faiej), a lancé un concours des Projets Verts, lors des Journées de l’Entrepreneuriat et de Développement (JED) avec l’appui du PNUD : « Nous y avons participé et nous avons été lauréats ».
Pour le promoteur de Natu Thé Kinkeliba, c’est une formation entrepreneuriale notamment en gestion de micro-entreprise distillée par le FAIEJ qui a provoqué le déclic et suscité le projet de commercialiser ce thé aux multiples vertus médicamenteuses ou thérapeutiques. Et, malgré les réticences et résistances de sa famille, malgré ses origines modestes, Komi Dovi Koudou est parvenu à se convaincre d’une chose : « J’ai fini par comprendre que si on fait de bonnes choses…, on finit par attirer vers soi les financements », a-t-il dit, tout confiant au cours d’un entretien accordé à Togo First. Au final, si ses origines modestes n’ont point été un handicap insurmontable à son accomplissement, sa passion non plus, n’a pas suffi pour donner vie à son rêve. C’est sa rencontre avec le FAIEJ qui a été l’élément catalytique de sa vie entrepreneuriale. La chance, c’est quand la préparation rencontre l’opportunité, dit-on.
Et enfin en route pour la « gloire » !
Komlan Bessanh, le champion des boissons à base de champignons sacré meilleur entrepreneur 2017 au Togo ne le démentira pas. Komi Koudou non plus, qui voit des Occidentaux s’intéresser à son activité et qui rêve, grâce aux offres de partenariat qui lui sont proposées, de conquérir le monde avec son thé.
Aujourd’hui, l’entrepreneuriat togolais a dépassé ses heures de frémissements. Au plan national, il fait l’objet d’une attention particulière et diverses distinctions notamment le prix du meilleur entrepreneur de l’année existent pour le booster.
Mais c’est surtout sur le plan international, au-delà des frontières nationales, qu’il s’affirme davantage. Que ce soit dans le domaine de la littérature, de la création artistique, de la conception d’application ou de logiciel, la littérature, etc, l’entrepreneuriat togolais rayonne, à en juger par les distinctions qu’il s’adjuge
Tout récemment, Koku Klutsé, jeune entrepreneur, la vingtaine, est Co-lauréat avec une nigérienne du prix 2è édition du jeune entrepreneur francophone. Avec à la clé, une enveloppe de 10 000 $. Sa société propose l’utilisation du gaz butane et du biogaz, comme alternatives au charbon de bois, qui est le combustible le plus utilisé au Togo.
Bemah Gado, spécialisé dans le recyclage des déchets plastiques, figure parmi les 35 jeunes leaders devant être récompensés par ‘’Les prix jeunesse francophone 3535’’
La start-up "Mobile Labo" du Togolais Dodzi Agaglo remporte le 2è prix africain de l'innovation dans l'éducation et s’offre 40 000 $. C’est une évidence aujourd’hui qu’au regard du chemin parcouru par les jeunes entrepreneurs togolais et de la reconnaissance dont fait l’objet leur génie créateur, le meilleur reste à venir.
Au final, il faut retenir que l’activité consistant à créer des emplois pour soi-même et pour les autres, ne s’est jamais autant bien portée au Togo. Dans ce pays, l’aventure entrepreneuriale et ses belles épopées ne viennent visiblement que de commencer.
Séna Akoda