(Togo First) - A l’orée des prochaines Journées Portes Ouvertes (JPO) de la Banque mondiale qui se tiennent les 23 et 24 juin 2022 à Lomé, Togo First s’est entretenu avec Hawa Cissé Wagué, la représentante résidente de l'institution dans le pays, depuis quatre ans. L'occasion de revenir sur cette future rencontre avec le grand public, les projets couverts par la Banque, les activités menées ces dernières années, et ses perspectives au Togo. Interview exclusive.
TF : La Banque mondiale organise les 23 et 24 juin ses Journées Portes Ouvertes (JPO). Quelles seront leurs particularités ?
ACW : Nous organisons effectivement les 23 et 24 juin 2022, ici au Bureau de la Banque mondiale à Lomé, nos prochaines JPO. La dernière fois que nous avons organisé un tel événement, c’était il y a presque 4 ans, en 2018, et depuis, il y a eu une bonne évolution.
Tout d’abord, c’est la première édition depuis le début de la crise du Covid-19, et plus largement, de la combinaison de crises que nous vivons aujourd'hui. Cela vient donc à un moment très particulier où la Banque a pu s'ajuster et accompagner le gouvernement à faire face à ces crises. Nous avons presque bouclé la stratégie de partenariat, et travaillons à en élaborer une nouvelle. C’est donc une occasion de montrer les résultats qui ont pu être atteints de la stratégie précédente.
La deuxième particularité de ces JPO, c'est qu'on les tient pour tout le groupe de la banque mondiale, y compris la Société Financière internationale (IFC -International Finance Corporation-, ndlr), qui est la branche de la Banque mondiale qui finance et appuie le secteur privé et qui s’est implantée en 2019 au Togo. Donc, c'est une innovation par rapport à ce qu'on a fait en 2018.
“Des Journées Portes Ouvertes pour tout le Groupe de la Banque Mondiale, y compris la Société Financière Internationale (IFC)”
Durant ces rencontres, nous ferons des présentations et des discussions autour des études analytiques qu'on a réalisées dernièrement. Au moins trois études vont être présentées, notamment l'étude sur le mémorandum économique pays qui parle des sources de croissance, comment avoir une croissance inclusive au Togo et quels sont les secteurs porteurs. La deuxième étude est sur l'évaluation de la pauvreté et le genre, qui fait aussi un focus sur ce qui se passe en termes de réduction de la pauvreté, et ce qui peut être fait pour réduire davantage la pauvreté dans le pays. Enfin, la troisième étude, c'est la revue des dépenses publiques qui nous dit un peu comment les dépenses publiques se sont comportées au Togo sur ces dernières années et les recommandations.
#Togo
— Banque mondiale AFR (@BM_Afrique) June 22, 2022
✔️Vous habitez #Lomé ou ses environs ?
✔️Vous êtes libre les 23 et/ou 24/06 ?
Si vous avez répondu OUI à ces 2 questions, écoutez le message de Renaud - @Renaudoss notre lauréat #Blog4Dev 2019 ?
Plus d'infos : https://t.co/hsHTwetJfj#Immersion19 pic.twitter.com/D7WtjMBx60
La Banque mondiale a souvent la réputation de ne faire que du financement. Mais sa force, c'est qu'elle est présente dans presque tous les pays au monde, donc elle a une expérience au niveau mondial qui peut être partagée avec les pays dans lesquels on travaille. Faire des études analytiques nous permet d'avoir cette connaissance, et de faire des recommandations qui vont servir les gouvernements. C'est ce qu'on va présenter au cours de ces JPO.
T.F : Le portefeuille de la Banque mondiale au Togo s’est beaucoup diversifié ces dernières années. A combien est-il évalué aujourd’hui ? De quoi est-il composé ? Qu'est-ce qui explique une telle progression ?
ACW : Vous avez raison, le portefeuille de la Banque mondiale a beaucoup évolué ces 3 à 4 dernières années. Il est ainsi de plus de 917,5 millions $ aujourd’hui, comparativement à 2018, c'était autour de 236,8 millions $.
Cette augmentation rapide s'explique par deux choses : la première, c'est que le Togo a eu une bonne performance au niveau des réformes, qui sont capturées dans le score du CPIA. Ce score est un indicateur important dans l'allocation des ressources IDA aux pays. Le Togo a fait progresser son score à 3.5 aujourd’hui. Cette progression a permis d’augmenter les allocations des ressources IDA au Togo, qui ont connu une forte évolution positive ces dernières années.
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Deuxièmement, quand la crise du Covid est venue, la Banque a accéléré la mise à disposition des fonds à tous les pays du monde, en 2020 et 2021, les ressources de tous les pays ont ainsi augmenté.
Par exemple, pour “IDA 19”, les fonds mobilisés pour 3 ans ont été exécutés sur 2 ans seulement. Ce sont ces facteurs qui ont contribué à augmenter les ressources du pays.
TF : Qu’en est-il des domaines couverts ?
ACW : Notre portefeuille couvre différents secteurs, mais nous avons fait un focus sur le développement humain, la santé, l’éducation et la protection sociale. Parce que la crise du Covid a démontré l’importance pour nous de renforcer le capital humain dans les pays et de faire en sorte que les opportunités de chaque Togolais, surtout les plus jeunes, soient augmentées avec le temps, de même que leur productivité.
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On parle souvent de l’indice du capital humain. Quand on regarde celui du Togo, il est relativement bas (0.43), ce qui veut dire qu’un enfant qui naît aujourd’hui dans les conditions actuelles de santé, de l’éducation et de la protection sociale, sera seulement 43% productif quand il aura 18 ans.
Alors que si on investit dans le capital humain dans ces trois secteurs, on pourra changer cette donne et avoir des adultes beaucoup plus productifs que ceux qu’on aurait aujourd’hui, si rien ne changeait. C’est le développement humain.
Ceci étant, nous savons aussi que les autres secteurs doivent en même temps suivre, surtout les secteurs productifs, pour créer de la richesse et augmenter la distribution des revenus. Donc nous intervenons dans l’agriculture, l’énergie, le digital et tout ce qui concerne les réformes.
Parce que seul, on ne peut pas faire grand-chose, il faut que le gouvernement mette en œuvre les réformes qui permettent d’améliorer la gouvernance, d’avoir une soutenabilité dans la gestion des finances publiques pour que toutes les ressources publiques puissent être mieux gérées, et d’avoir des résultats.
Un dernier point, on a aussi beaucoup appuyé les réformes pour pouvoir mobiliser plus d’investissements privés, qui vont contribuer à la création de richesses et d’emplois dans le pays.
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TF : Parlons justement des ressources IDA. On constate que le taux de consommation du Togo reste dans le sillage des 30%. Qu’est-ce qui freine une plus importante consommation ?
ACW : Rassurez-vous, cette question est récurrente et ne concerne pas seulement le Togo, mais l’ensemble des pays en développement, en général. Ceci étant, le Togo a un taux de décaissement autour de 30% et nous pensons que cela peut augmenter dans les jours qui viennent. La performance n’est pas si mauvaise, comparée à ce qu’on observe ailleurs.
Par exemple au niveau régional (Afrique de l’Ouest et du Centre), le Togo fait partie des pays qui performent le mieux en termes de taux de décaissement. L’année passée (en prenant en compte l’année fiscale, ndlr), le Togo avait fait 56%. Le Togo a été très performant, comparé à la moyenne, qui était autour de 20%. Le Togo est donc au-dessus des autres pays comparables, mais quand même en dessous des objectifs que le gouvernement s’est lui-même fixés, et peut faire beaucoup mieux. Il y a de la capacité au sein de l’administration publique pour le faire.
“ Au niveau régional (Afrique de l’Ouest et du Centre), le Togo fait partie des pays qui performent le mieux en termes de taux de décaissement.”
Quelles sont les contraintes qui font que le taux de décaissement n’a pas pu aller au niveau de l’année passée ? Je dirais qu’on a eu de nouveaux projets qui n’étaient pas suffisamment mûrs pour être mis en œuvre. Par conséquent, il y a eu assez de va-et-vient. C’est une leçon pour le futur sur lequel il faut travailler.
D’une façon générale, il faut noter que tout ce qui concerne la passation de marchés prend plus de temps que ce qui est normalement prévu dans les textes. Je pense que le Togo et tous les pays qui lui ressemblent devraient faire un effort dans ce sens. Ces pays doivent faire en sorte que la passation des marchés soit améliorée pour qu’on puisse parvenir à mettre en œuvre rapidement des activités.
Toujours sur ce volet, le dernier point concerne le recrutement. Les entreprises qui exécutent les infrastructures ne sont pas suffisamment préparées. On se retrouve ainsi avec des entreprises locales qui n’arrivent pas à exécuter les activités dans le temps imparti. Ce qui fait qu’à la fin, une activité qui devrait être achevée en quelques mois, se retrouve étendue à quelques années.
Il est donc important de renforcer les capacités des entreprises dans le pays parce que c’est important de pouvoir passer par elles pour créer des emplois et de la richesse dans le pays. Mais tout cela doit se faire tout en permettant à ces entreprises d’améliorer leurs performances.
T.F : Alors que le Togo, comme d’autres pays, commençait à se remettre de la crise du coronavirus, le conflit russo-ukrainien est venu en rajouter une couche, avec de nouveaux impacts. Cela demande aux gouvernements de savoir se réinventer et quelquefois, de changer d’orientation en matière de politique de développement. Pour la Banque Mondiale qui est un partenaire du gouvernement, est-ce qu’on se dirige vers un réajustement du dispositif de soutien financier, voire du nouveau cadre de partenariat, qui, rappelons-le, est en cours d’élaboration ?
ACW : La Banque Mondiale a montré au Togo et dans d’autres pays qu’elle est une institution de développement qui aide les pays à gérer des crises, comme lorsque la crise sanitaire du coronavirus a surgi.
Avec la guerre entre l’Ukraine et la Russie, la Banque est capable de travailler avec les pays pour atténuer les impacts tout en gardant à l’esprit, l’objectif de développement à moyen et à long terme. Cependant, il ne faut pas que l’urgence de la crise fasse oublier l’importance d’agir pour le développement. Si cette erreur est commise, cela risque de créer une situation sans résilience. La Banque a su s’ajuster en période de Covid-19 et est en train de le faire face à la crise en Ukraine. Nous disposons d’un certain nombre d’outils flexibles pour supporter le gouvernement togolais en cas de besoin, répondre à la crise, faire face à la crise alimentaire ou pour financer l’agriculture.
Ceci peut se faire en amont de la mise en place d’une nouvelle stratégie pays. Il y a des mécanismes qui peuvent être déclenchés pour utiliser les ressources des portefeuilles existants, mais il y a aussi la capacité d’initier de nouvelles opérations comme l’appui budgétaire que la Banque a accordé au début de la Covid-19. Pour le Togo, cet appui s’est élevé à 70 millions $. Quand le besoin est là, la Banque arrive à aider rapidement le pays. Et face à cette crise qui s’ajoute à d’autres, la Banque est aux côtés du gouvernement pour identifier les défis. Dans le cadre du Togo, la Banque vient de lancer le programme de sécurité alimentaire et de résilience. Ce programme peut être utilisé pour répondre à la crise.
TF : Parlant de résilience, plusieurs projets lancés par le Togo et financés par la Banque mondiale ont donné de bons résultats, selon le gouvernement. Au vu du nouveau contexte mondial, y-a-t-il un nouveau paradigme opéré au niveau de la banque, s’agissant des nouveaux projets ?
ACW : Oui. Ce changement de paradigme a déjà commencé depuis longtemps avant la crise, comme le montre par exemple le programme de sécurité alimentaire et de résilience régional, lancé récemment. L’idée, c’est de mettre en place les opportunités pour que non seulement l’agriculture pratiquée au niveau de nos pays dans la région de la CEDEAO puisse servir les agriculteurs et leurs familles, mais aussi que le surplus puisse être échangé dans les différents marchés. Donc, on essaie de travailler sur différents aspects et d’attirer l’investissement privé, parce que c’est très important.
S’adapter aux changements climatiques est un autre aspect très important. Donc nous créons des possibilités de résilience. Mais un aspect important, qu’on n’a peut-être pas pris en compte mais qui est du ressort des gouvernants plus que de la banque, c’est la mise à disposition des engrais locaux.
Le Togo est un pays qui a du phosphate. Ce serait bien s’il produisait de l’engrais à partir de cette ressource, et qui profite au reste de la sous-région. Parce que si on n’a pas d’engrais, ce n’est pas sûr que la productivité va augmenter, malgré la mécanisation ou l’irrigation. Il est donc aussi important de sécuriser ces aspects-là.
“Le Togo est un pays qui a du phosphate. Ce serait bien s’il produisait de l’engrais à partir de cette ressource, et qui profite au reste de la sous-région. Parce que si on n’a pas d’engrais, ce n’est pas sûr que la productivité va augmenter, malgré la mécanisation ou l’irrigation. Il est donc aussi important de sécuriser ces aspects-là”.
Un autre aspect qu’on regarde où la réforme est importante, souhaitée, et dépend du gouvernement, c’est au niveau de la recherche dans l’agriculture : l’innovation et la recherche sont importantes pour pouvoir avancer et je pense que cela dépend des gouvernements.
Faire des réformes pour attirer les investisseurs privés dans les domaines importants reste un pilier important. Peut-être un dernier aspect sur l’agriculture qui nous tient à cœur, c’est qu’on a remarqué sur la base des statistiques que dans le secteur, les agriculteurs les plus résilients sont aussi les plus pauvres en général parce qu’ils n’ont pas d’autres alternatives. Donc il faut vraiment trouver un moyen pour les supporter, de telle sorte qu’ils aient une activité plus productive qui leur bénéficie ainsi qu’au reste de la population autour d’eux.
“ (...) Les petites interventions que nous menons, qu’on pense parfois insignifiantes, ont un impact très important sur la vie d’une personne et parfois toute sa communauté.”
TF : Après toutes ces années à piloter et représenter les activités de la Banque au Togo, qu’est-ce qui fait votre plus grande fierté depuis que vous êtes arrivée ?
C’est difficile de choisir. Il y a eu beaucoup de réalisations qu’on peut montrer parmi les résultats atteints dans la mise en œuvre de la stratégie du pays depuis 2018 jusqu’à présent.
Mais je pense que quand je venais d’arriver au Togo, on m’a demandé ce que j’aimerais voir changer dans le pays, ce que j’aimerais apporter de plus. J’ai dit que ce serait bien de voir que les populations vulnérables puissent par elles-mêmes changer leur situation. Je pense que beaucoup de projets ont concouru à cela. Les projets qui ont le plus contribué sont ceux de protection sociale, à travers le transfert monétaire, l’emploi des jeunes vulnérables. Ils ont donné l’occasion à certaines femmes et jeunes, de se prendre en charge pendant un certain temps, d’avoir des activités génératrices de revenu et de complètement impacter l’économie locale.
Par mes tournées sur le terrain, à l’intérieur du pays, j’ai pu constater que les petites interventions que nous menons, qu’on pense parfois insignifiantes, ont un impact très important sur la vie d’une personne et parfois toute sa communauté.
Interview réalisée par Ayi Renaud Dossavi & Octave A. Bruce
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